Sitges, autrefois village de pêcheurs, est devenu un symbole de la culture gay, en particulier pendant la période du carnaval qui s’étend cette année du 22 février au 5 mars. Petite histoire d’une identité urbaine incomparable.
Photo : Sitges
À Sitges et Barcelone, février rime avec mascarade, rois de pacotille et déguisements en tous genres. À Sitges, bien que les festivités soient ouvertes à toutes les sexualités, la communauté gay est l’âme du carnaval depuis plusieurs dizaines d’années. Et c’est d’ailleurs grâce à ce même carnaval qu’à partir de la fin du 19e siècle la ville balnéaire s’est transformée en destination de vacances de prédilection pour les homosexuels de toute l’Europe.
Tout commence – malheureusement – par l’intolérance. Vers le début du 20e siècle, les riches familles barcelonaises envoient leurs fils homosexuels à Sitges, dans l’espoir de leur offrir un cadre de vie agréable mais néanmoins loin de leurs préoccupations bourgeoises. C’est notamment grâce à la construction de Terramar, une cité-jardin inspirée de Nice, que Sitges devient un lieu de retraite pour les élites, tout en attirant des artistes comme Rusiñol et Ramón Casas.
Dans le même temps, la ville construit deux casinos : El Retiro et El Prado, qui rivalisent d’imagination dans l’organisation de bals masqués. La ville se distingue alors comme un foyer de l’hédonisme, dont le carnaval est le point d’orgue.
Avec la guerre et la dictature, les festivités deviennent un acte de résistance. Les historiens de l’époque observent notent un « homonationalisme », unissant catalanistes et homosexuels dans une lutte commune contre le régime franquiste.
Dans les années 1960, un souffle de liberté sexuelle souffle sur le monde, et la Catalogne n’y échappe pas malgré la dictature. Les néons et les festivités délurées marquent une époque de changement, et les premières mentions de la communauté gay de Sitges à l’échelle nationale font leur apparition.
Le tourisme gay : une poule aux oeufs d’or
C’est le début d’un rayonnement qui ne devra jamais s’éteindre. Sitges devient un symbole de la libération sexuelle, avec un carnaval qui descend dans les rues et attire des foules enthousiastes. Les années 1980 voient la création de lieux spécifiquement dédiés à la communauté gay, comme la discothèque Tráiler et les bars de la rue Primero de Mayo. Les premières fêtes véritablement costumées apparaissent, alors que la municipalité cherche à capitaliser sur cette tradition.
La communauté gay commence à revendiquer ses espaces : certaines rues et des plages isolées, attirant ainsi un public en quête de liberté, loin des jugements. La Playa del Muerto devient un lieu de cruising, suscitant des tensions avec les habitants. Cette séparation entre les Sitges gay et hétérosexuel s’intensifie, notamment après un incident tragique en 1996, lorsque l’agression d’un homme gay met en lumière la nécessité de solidarité.
Avec le temps, au lieu de continuer à rejeter son identité, Sitges comprend le potentiel économique de sa réputation de destination gay. En 2006, elle inaugure son premier monument en hommage aux victimes de l’homophobie, marquant un tournant vers une acceptation plus large.
Aujourd’hui, la ville balnéaire est le lieu de prédilection de la communauté queer d’Europe. Si l’été amène son lot de festivités et de touristes, c’est bien au mois de février grâce à son carnaval que commence véritablement la saison de Sitges.