Cette semaine, Barcelone a plongé dans l’univers sombre et fascinant du polar avec BCNegra, le festival dédié au roman noir. Aux côtés de la ville espagnole, Marseille et Naples, autres cités portuaires marquées par le crime et les trafics, ont été mises à l’honneur : mais pourquoi les polars aiment-ils tant les ports ? Décryptage d’un phénomène littéraire populaire.
Ruelles sombres, trafics clandestins, règlements de comptes… Les ports méditerranéens ont toujours inspiré le roman noir. Preuve en est avec le festival BCNegra, qui s’est tenu cette semaine à Barcelone et qui a mis à l’honneur trois cités où la fiction et la réalité criminelle se confondent : Barcelone, Marseille et Naples.
Les ports ont toujours été des points de friction entre ordre et chaos. Lieux de passage, de commerce et de clandestinité, ils fascinent les auteurs de romans noirs par leur côté labyrinthique et leur charge dramatique. À Barcelone, le Raval – autrefois Barrio Chino – fut le théâtre des premières enquêtes du détective Pepe Carvalho, imaginé par Manuel Vázquez Montalbán. Dans « Tatouage », paru en 1974, Carvalho erre entre bordels et bars, dépeignant une ville en pleine mutation, où les ombres du franquisme peinent à disparaître.
Plus tard, Carlos Zanón – d’ailleurs actuel directeur du BCNegra – a repris le flambeau du genre, ancrant ses polars dans une Barcelone post-crise, où la précarité et la gentrification cohabitent dangereusement.
Photo : Carlos Zanón – BCNegra
De leur côté, Marseille et Naples sont d’autres bastions du roman noir. Dans « Total Khéops », Jean-Claude Izzo immortalise une cité marseillaise explosive, où la frontière entre justice et criminalité est mince. En ce qui concerne Naples, Roberto Saviano avec « Gomorra », a levé le voile, non sans risques, sur les ombres mafieuses italiennes.
Le thriller, roi d’Espagne
Mais l’engouement pour le thriller dépasse largement ces villes portuaires : en Espagne, le genre connaît un succès fulgurant depuis les années 2000. On note à l’époque l’émergence de nombreux nouveaux auteurs et la création de collections dédiées au genre par diverses maisons d’édition.
C’est que le pays a vraiment découvert ce genre à la mort de Franco, explique la chercheuse Emilie Guyard dans un article sur le sujet : « le polar s’est développé parallèlement à la démocratie moderne et il en est devenu à la fois l’un des censeurs et l’un des défenseurs. Sans démocratie, il n’est point de roman noir. Il n’est donc pas surprenant que le genre ait eu tant de mal à s’implanter dans l’Espagne franquiste ». Résultat, dès que Franco s’en est allé, les auteurs espagnols se sont lâchés.
Libéré des carcans franquistes, le polar espagnol a explosé, accompagné d’une floraison de festivals : en 1988, seule la Semana Negra de Gijón existait, contre près de quarante maintenant. Et cette année, le BCNegra a accueilli 145 participants venus du monde entier, projetant le festival encore un peu plus sur le devant de la scène thriller.
Aujourd’hui, selon la dernière analyse du marché du livre publiée par la Fédération espagnole des corporations d’éditeurs (FGEE), le thriller représente environ 20 % du gâteau total de la fiction : un chiffre impressionnant. Et pour le gonfler encore un peu, voici 3 livres à lire pour plonger dans l’univers polar et portuaire : « Marseille 73 » de Dominique Manotti, « Soudain trop tard » de Carlos Zanón et « La porte des enfers » de Laurent Gaudé.