Expulsés au nom de la fièvre immobilière : les locataires barcelonais au bout du rouleau

Barcelone fait face à une crise du logement sans précédent. Entre afflux d’expatriés fortunés, investisseurs gourmands et propriétaires frileux, le marché immobilier devient particulièrement éprouvant pour les locataires. 

L’image a occupé les médias espagnols pendant plusieurs jours. Devant la Casa Orsola, au croisement des rues Consell de Cent et Calàbria, des milliers de manifestants se sont rassemblés pour bloquer les accès au hall de l’immeuble. Ce superbe édifice moderniste, à l’emblématique façade verte, est devenu un véritable symbole de la lutte des Barcelonais contre la spéculation immobilière.

L’immeuble a été racheté par un fond d’investissement en 2021, dans le but de le transformer en édifice d’appartements temporaires haut-de-gamme. Les baux des locataires, dont certains vivent là depuis plusieurs décennies, ne sont pas renouvelés à leur date d’échéance et les logements sont progressivement rénovés. De 700 à 900 euros, les nouveaux loyers passent à 2100 voire 2800 euros. Mais les locataires de sept appartements font de la résistance, et refusent de quitter les lieux. Et fin janvier, alors que la justice avait ordonné la première expulsion, voisins et activistes se sont mobilisés, certains ont même campé sur place. Face à la pression sociale et médiatique, la mairie de Barcelone a finalement annoncé qu’elle rachèterait l’immeuble et que personne n’en serait expulsé.

Un coup de communication qu’elle ne pourra toutefois pas dégainer pour sauver les centaines de locataires qui se retrouvent chaque mois dans cette situation. Bénédicte, elle aussi, a tout fait pour rester. Cette Française d’une soixantaine d’années a vécu sept ans avec son mari dans cet appartement de 100 mètres carrés qu’elle avait trouvé à leur arrivée à Barcelone. Comme la Casa Orsona, il est situé sur la rue Consell de Cent devenue récemment piétonne et donc très demandée. « Un jour, j’ai reçu un mail pour confirmer que je remettrais bien les clés sous 15 jours, raconte Bénédicte, encore choquée de la manière dont on a mis fin à son bail, ils ont dit m’avoir envoyé un burofax (lettre recommandée) mais je n’ai jamais rien reçu ni signé ».

Le marché juteux de la location temporaire

Les propriétaires, un couple anglo-espagnol, lui expliquent vouloir reprendre l’appartement pour eux et y faire des travaux. Un motif valable pour ne pas renouveler un bail. Mais Bénédicte n’en croit pas un mot. « Il y a eu beaucoup de contradictions, par exemple ils me demandent de faire nettoyer l’appartement par une entreprise spécialisée.. mais pourquoi nettoyer à fond s’ils vont faire des travaux ? Ils ne m’ont jamais répondu ». La Française en est persuadée : ils en feront une location temporaire et doubleront le prix, comme c’est déjà arrivé à l’une de ses amies qui vivait dans le quartier. « De toute façon, je le saurai, j’ai de très bonnes relations avec mes voisins », assure-t-elle en fermant ses derniers cartons. Le couple a réussi à négocier trois mois de plus, mais ils rendront finalement les clés samedi.

se loger à Barcelone

Toutefois Bénédicte le reconnaît : elle n’est pas la plus à plaindre. Comme beaucoup de locataires pouvant se le permettre, elle et son mari ont finalement acheté un appartement. Ce n’est pas le cas d’Annie, qui cherche encore un logement pour elle, son compagnon et leurs deux enfants. « On ne s’y attendait pas, le propriétaire nous a écrit un jour pour nous dire qu’il voulait récupérer l’appartement pour son fils et que nous devions partir, nous avions toujours eu de bonnes relations avec lui ».

Pour le budget du couple, qui vivait dans cet appartement du Born depuis huit ans, impossible de rester dans le centre de Barcelone. La recherche a donc été élargie aux quartiers périphériques et à la banlieue. « C’est une vraie galère, il faut répondre rapidement aux annonces, aller visiter le plus vite possible et parfois faire tout un dossier avant, il y a tellement de candidats et si peu d’apparts, c’est la guerre ! » Elle aussi a tenté de trouver des recours pour rester, mais le propriétaire est dans son bon droit.

Mais la situation devient tendue, de plus en plus de locataires se remettent à chercher un logement et de moins en moins d’appartements sont proposés avec des baux de résidents. Les propriétaires préfèrent opter pour la location temporaire (moins d’un an) qui leur offre beaucoup plus de rentabilité. Un choix qui transforme peu à peu la ville, inéxorablement.

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