À Barcelone, la gastronomie est reine. Mais petit à petit, les restaurants branchés et conceptuels remplacent ceux « de toda la vida », ces établissements familiaux catalans.
Photo de couverture : Equinox – LS
Syra Coffee, Llúritu, Granja Petitbo… Sur le passeig Sant Joan, dans le tronçon qui relie l’avenue Diagonal à Tetuan, il faut bien chercher pour trouver un établissement qui ne fasse pas partie d’une chaîne. C’en est devenu presque une dictature. Celle du brunch, de l’avocado toast à 8 euros, du café au nom anglais, supplément esthétique instagrammable. Partout dans Barcelone fleurissent ces établissements où l’on ne paye plus la nourriture, mais le décor.
Il n’est donc pas rare de voir dans la même rue un authentique restaurant catalan avec l’esthétique que l’on connait, l’odeur de la tortilla côtoyant celle des olives acides, juste à côté d’un café branché où se pressent les jeunes à la mode, internationaux d’abord.
« On fait partie du peu d’Espagnols qui sont ici. Tout a changé, tout est nouveau », raconte Alex, 22 ans, qui travaille au Snack 55, un des très rares restaurants familiaux de la zone. Cet établissement, ouvert il y a 45 ans par son arrière grand-père est l’un des derniers bastions catalans de l’avenue. Ici, la clientèle est majoritairement locale, « on connait tout le monde », confirme Alex, « parce qu’on est là depuis toujours ».
Ce qui attire les clients ? Une ambiance amicale, une terrasse agréable et surtout les prix bas, incomparables à ceux que l’on trouve à quelques mètres. À titre d’exemple, les authentiques patatas bravas sont à 3, 75 euros chez Snack 55, tandis qu’on les trouve pour 6, 50 euros à Granja Petitbo, deuxième enseigne barcelonaise du groupe spécialisé dans le brunch. Distance entre les deux restaurants : 110 mètres.
« Les gens viennent ici parce que c’est moins cher »
Le plus intrigant, c’est que ce sont précisément ces prix qui attirent la clientèle venue d’ailleurs. Aux yeux des touristes, plus cher signifie meilleur, et les Anglais, Allemands et Australiens de passage se pressent pour payer au prix fort des pancakes dans un lieu magnifique, certes, mais pas catalan.
Pour cette raison, Alex et sa famille n’imaginent pas changer leurs prix, alors qu’ils pourraient très bien se le permettre, nous raconte encore le jeune homme : « les gens viennent ici parce que c’est moins cher. Si on augmentait nos tarifs, on perdrait l’essence même de notre commerce ». C’est pour les gens du quartier que l’établissement employant 11 personnes continue de proposer des burgers à 3, 25 euros et des bières à 2 euros. Le secret de prix si compétitifs ? « Acheter pas cher », répond Alex. On n’en saura pas plus.
Alors, c’est vrai, l’établissement n’est pas de première jeunesse, mais les serveurs, si, et la clientèle aussi. Le bar est en effet un repaire pour les jeunes de sortie la nuit, avec sa grande terrasse et son emplacement idéal. Une clientèle plutôt à contre-courant des statistiques.
Une étude récente montre que les jeunes Espagnols, en particulier à Barcelone, sont de plus en plus attirés par des cuisines internationales comme la cuisine japonaise, avec une augmentation de 30 % de la fréquentation des restaurants de sushi entre 2020 et 2023. Et ils trouvent leur bonheur dans la cité comtale, où en 2023 quatre établissement sur 10 étaient tenus par des propriétaires nés en dehors de l’Espagne.
Pas de grand remplacement pour autant : la paella est toujours le plat préféré des Espagnols, et les oeufs mollets sur un toast ne battront jamais une bonne tortilla.