Selon les organisations patronales françaises, les chefs d’entreprises sont de plus en plus nombreux à quitter la France. Et bon nombre d’entre eux atterrissent dans la capitale catalane. Témoignages.
Des entrepreneurs qui fuient la France, Carole Donna en voit tous les jours dans son bureau du Passeig de Gràcia. Cette experte-comptable française a récemment lancé son cabinet à Barcelone, point de chute idéal pour les nouveaux arrivants peu habitués aux rouages espagnols. « Ils partent souvent parce qu’ils ne supportent plus l’ambiance, l’environnement social, et ils sont contents d’arriver dans un pays avec du soleil et des gens inspirants », explique-t-elle.
Selon Carole Donna, la rupture entre la France et ses entrepreneurs a été consommée pendant la pandémie. « J’ai vu des entrepreneurs vraiment souffrir et en même temps, des employés très protégés, pas impliqués car ils se savaient protégés par l’Etat, poursuit l’experte, en Espagne, tout le monde s’y est mis, ensemble ». Une tendance qui se serait accentuée depuis, selon plusieurs chefs d’entreprise français récemment arrivés à Barcelone. « En tant qu’entrepreneur, tu es très travailleur, tu sais te retrousser les manches quand il le faut, et il y a comme un décalage avec le reste de la société« , confie Julie*, arrivée avec mari et enfants en 2022.
Un constat partagé par Augustin*, chef d’une entreprise de 50 salariés dans le secteur des transports. Ce père de famille a également été frappé par la différence culturelle sur la vision du travail lors de son déménagement l’été dernier. « Quand on vit ici au quotidien avec ce peuple qui a encore le sens du vivre-ensemble, qui a encore le sens du travail et des responsabilités, on n’est pas surpris des taux de croissance record qu’on vit ici en Espagne ».
Mais si les arrivées ont augmenté depuis la pandémie, démocratisation du télétravail et envie d’ailleurs obligent, elles ont explosé depuis un peu plus d’un an. A son échelle, le président de la French Tech, qui réunit les start-ups françaises de Barcelone, a vu ses demandes d’information multipliées par trois depuis l’été dernier. Avec une motivation nouvelle : celle, avant tout, de quitter la France. « On a l’impression que les gens sont plus motivés par le fait de ne plus vivre en France que par le développement à l’international ou le fait de pouvoir travailler à distance, et c’est un fait assez notable depuis ces 18 derniers mois », confie Guillaume Rostand.
Et l’environnement social n’est pas le seul moteur du départ. « Le sentiment d’insécurité est souvent évoqué », indique le boss de la French Tech Barcelona. Pour Julie, il était urgent de quitter Lyon pour le bien de ses enfants. « C’est un climat anxiogène, ma fille de 16 ans se faisait agresser », raconte cette mère de trois enfants. « L’insécurité grandissante » a aussi poussé Augustin à déménager, de Paris à Nantes, puis de Nantes à Barcelone. La capitale catalane offre aux parents « un confort de vie extraordinaire » mais aussi un bon niveau éducatif, notamment avec de nombreuses écoles internationales.
Une fiscalité avantageuse : la cerise sur le gâteau
C’est donc avant tout pour leur qualité de vie et celle de leur famille que les patrons quittent la France pour l’Espagne. « Ils ne viennent pas à Barcelone pour des raisons fiscales mais quand ils découvrent la fiscalité espagnole, souvent, ils décident de monter quelque chose ici », explique Carole Donna. « Ceux qui partent pour des raisons fiscales vont plutôt au Portugal par exemple », confirme Jean-Michel Nogueroles, avocat du cabinet franco-espagnol Lexwell.
Tout de même, la péninsule prélève deux fois moins de cotisations sociales que la France. « Au même niveau de salaire, une entreprise espagnole va payer la même chose, salaires et charges comprises, pour trois cadres dirigeants qu’une entreprise française pour quatre », résume l’expert fiscaliste. Une différence qui n’est pas forcément perçue par le salarié, puisqu’il va payer en Espagne un impôt sur le revenu plus progressif.
Enfin, la péninsule offre un régime de cotisations pour les dirigeants particulièrement avantageux. Un patron rémunéré 5000 euros par mois paiera environ 2000 euros de cotisations en France, par rapport à 500 en Espagne. Un argument de plus pour s’installer à Barcelone… et ne plus en partir, comme Julie ou Augustin qui n’ont « aucun projet de retour ».
*Les prénoms de certains intervenants ont été modifiés à leur demande pour respecter leur anonymat