Près de 100 jours ont passé depuis la catastrophe qui a coûté la vie à 227 personnes et affecté 75 communes. Sur place, la reconstruction est presque au point mort.
Photos : AC/Equinox
Le panorama est apocalyptique. Rue après rue, ville après ville, les traces de la DANA (littéralement « dépression isolée à niveau élevé ») sont encore partout dans la banlieue sud de Valence. A l’entrée de Paiporta, l’une des villes les plus touchées, un cimetière de voitures longe la route sur un demi-kilomètre. Dans les allées de cette casse de fortune, une dizaine de personnes arpentent méthodiquement les allées. « Nous cherchons notre voiture, elle doit être par ici », explique Robert, la cinquantaine. Il veut faire une photo de l’épave afin de toucher les 3500 euros de l’assurance. « Ça ne paie pas la nouvelle, mais ça va aider ». C’est le sixième jour qu’il vient ici, sans succès, mais il estime ne pas être le plus à plaindre. Son appartement est intact.
A Paiporta et dans les communes alentours, de nombreux habitants n’ont toujours pas pu rentrer chez eux. L’immense majorité des rez-de-chaussée, où l’eau boueuse est montée jusqu’à trois mètres, sont abandonnés. Se promener à Paiporta, c’est déambuler dans une ville dévastée. Moins de 10% des aides promises par le gouvernement sont arrivées, les assurances tardent à payer et le coût des travaux est trop lourd à assumer. Il faut refaire les murs et les sols, d’où continuent de sortir des tâches de moisi et où l’humidité est devenue toxique. Il faut reconstruire des façades, des murs, des portes, des vitrines. Tout a été emporté. Depuis trois mois, beaucoup vivent donc chez des amis ou des parents, dans des conditions souvent précaires. Certaines familles sont séparées, faute de place.
Natalia, 49 ans, fait partie de ceux qui ont pu revenir il y a quelques semaines, grâce à l’aide de bénévoles. Ce week-end encore, une quinzaine de jeunes venus de Barcelone s’activent dans le hall de son immeuble pour refaire les murs. « Nous n’avons aucune aide pour les travaux, alors je suis allée m’inscrire à une association qui en propose et un jour, j’ai commencé à voir débarquer des volontaires, c’est incroyable ».
Depuis le lendemain des inondations, l’aide des bénévoles a fait toute la différence. Durant des semaines, ils ont aidé à déblayer les rues, les garages et les maisons. Ils sont aujourd’hui encore essentiels pour remettre les logements et commerces en état. « Heureusement qu’ils ont été là, et surtout les jeunes, moi qui pensais qu’ils n’étaient que des fumeurs d’herbe, ce sont vraiment des personnes extraordinaires« , plaisante Ximo, qui va rouvrir son restaurant mardi. Dans sa rue, ce sera le troisième à reprendre l’activité, sur un total de 20 commerces. « Si on est finalement quatre à rouvrir, ce sera déjà beaucoup ».
Car il a fallu tout refaire, littéralement du sol au plafond. Le quinquagénaire y a mis toutes ses économies, mais la plupart de ses voisins ont jeté l’éponge. « Je les comprends, on n’a reçu aucune aide et les assurances n’ont pas encore payé, on ne sait même pas ce qu’on va pouvoir toucher ». L’entrepreneur a heureusement pu compter sur les volontaires, sur ses amis et sur un bienfaiteur dont tout le monde parle ici : Juan Roig.
L’Etat, le grand absent
Le fondateur de Mercadona, Valencien d’origine et quatrième fortune d’Espagne, a distribué 85 millions d’euros aux commerces désireux de rouvrir leurs portes dans la zone sinistrée. Il a aussi financé la reconstruction de nombreux parcs, places et rues. L’homme le plus riche du pays et fondateur de Zara, Amancio Ortega, lui a emboîté le pas, mettant la main à la poche pour aider ceux qui ont perdu véhicules et logements.
L’Etat en revanche reste le grand absent. Carlos Mazón d’abord. Le président de la région, accusé d’avoir lancé l’alerte bien trop tard le 29 octobre, n’a pas réussi à se rattraper dans la gestion post-catastrophe. Samedi encore, malgré la pluie, plus de 25 000 personnes ont manifesté à Valence pour réclamer sa démission. Le gouvernement espagnol n’a pas fait mieux. Pedro Sánchez est lui aussi est accusé de ne pas prendre la mesure du désastre, laissant traîner le versement des aides.
Il ne s’est rendu qu’une seule fois à Paiporta, dix jours après la catastrophe. Et pourtant, il est revenu à Valence, et notamment samedi dernier pour un congrès du parti socialiste. Mais il n’a pas parcouru les 12 kilomètres qui le séparaient de la ville dévastée et est rentré aussitôt à Madrid. « Ils ne se rendent pas compte de l’ampleur car ils ne viennent pas, et tout le monde le dit : si tu ne viens pas, tu ne peux pas te rendre compte du niveau de destruction et de la précarité du quotidien », explique Raquel, journaliste dans une radio locale. Son salon et sa cuisine ont été détruits, et sa famille vit désormais dans les chambres du premier étage, avec un réchaud de camping, un petit frigo et un micro-ondes. Elle aussi attend les indemnisations promises et en attendant lutte contre les moisissures. « Il faudra sûrement attendre l’été pour que ce soit vraiment sec ».
L’école de sa fille de 8 ans n’a pas encore rouvert ses portes, et la fillette doit se rendre dans un autre établissement, où elle a moins d’heures de cours faute de place. Fini aussi le sport, le gymnase est toujours en travaux. Et puis Valence, où Raquel travaille, n’est plus à 10 minutes de métro. La station est hors service et il faut emprunter des bus bondés et plus lents, ou prendre son mal en patience dans les embouteillages devenus fréquents depuis la destruction des voies ferrées.
« C’est triste de voir la ville comme ça, mais on a tous envie de retrouver notre vie normale et de tourner la page », poursuit la mère de famille. Selon les associations sur place, il faudra sans doute plusieurs années pour y parvenir. Ce sont des dizaines de milliers de logements et de commerces qu’il faut remettre en état. Aucune rue n’a été épargnée.Des routes, des ponts, des chemins de fer et des trottoirs aussi. Mais les habitants ne ménagent pas leurs efforts pour remettre leurs villes sur pied, à la force de leurs poignets. « Nous sortirons de la boue avec dignité », promettent plusieurs pancartes accrochées aux balcons de Paiporta.