« Les Catalanes ne se maquillent pas » : décryptage d’un cliché

Ofèlia Carbonell

Dans son livre « Les Catalanes ne se maquillent pas », Ofèlia Carbonell se questionne sur l’identité régionale et les standards de beauté associés à celle-ci. C’est quoi, la beauté à la catalane ? Rencontre avec une autrice lumineuse.

Photo : Equinox/LS

À 17h, ce jeudi de janvier dans un café branché de l’Eixample, on se croirait partout sauf à Barcelone. Rihanna crie dans les haut-parleurs, un groupe de Français est en pleine session de télétravail et plus loin deux Américaines partagent un brownie. Une mise en scène plutôt cocasse pour discuter avec Ofèlia Carbonell, scénariste pour TV3 (télévision publique catalane), hôte du podcast « Gent de merda » (en catalan) et autrice de « Les Catalanes ne se maquillent pas », écrit – vous l’avez deviné – en catalan. C’est à l’occasion de la sortie de ce livre, mélange d’histoire très personnelle et d’essai politique, paru en novembre dernier aux éditions Pòrtic, que nous rencontrons la trentenaire.

Grand sourire et longs cheveux noirs, celle qui fut dans une première vie violoncelliste commande un café au lait qui refroidit, tandis qu’elle s’enflamme autour de sujets brûlants : identité catalane, féminisme et rapport à l’esthétique.

Avec « Les Catalanes ne se maquillent pas », la native de Premià de Mar avait un objectif, confie-t-elle : « je voulais trouver une manière d’appréhender la beauté comme quelque chose d’empouvoirant et de sain, que je faisais parce que je le voulais et qui ne me faisait pas de mal. Mais en fait, je n’ai pas réussi ».

 

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Un demi-échec seulement, puisque le livre, lui, réussit à mettre sur le devant de la scène une question qu’on ne pose pas, ou très peu : qu’est-ce que la beauté catalane ? Lorsque l’on pense à la beauté française, écrit-elle, on pense visage nu, lèvres rouges, une sorte de chic parisien très identifié. La beauté à l’Américaine ? Facile, Marilyn Monroe, Kylie Jenner, des femmes plantureuses, sexy et affirmées. Mais la beauté catalane ? « On n’a jamais parlé de tout ça avec la guerre civile. Une partie de la dictature impliquait de supprimer l’identité catalane, alors on n’y a jamais réfléchi avant », raconte l’autrice.

La genèse de ce livre, c’est exactement ce noeud, ce problème d’identité. En se baladant sur les réseaux sociaux un jour, Ofèlia tombe sur une vidéo d’une Américaine en vacances à Barcelone qui s’étonne de la simplicité des Catalanes, qui selon elle « ne se maquillent pas ». Pour s’intégrer, elle décide de faire de même et surtout de réduire les injections pour paraitre plus naturelle, donc plus Barcelonaise. Pendant le visionnage, Ofèlia s’étonne : « les Catalanes ne se maquillent pas ? ». Faux, répond-elle. Ou en tout cas, pas entièrement vrai. 

Dans sa tête, l’autrice se questionne sur l’esthétique de sa région : pourquoi n’existe-t-elle pas ? Elle en connait, elle, des Catalanes glamour et qui se maquillent, alors pourquoi l’Américaine a-t-elle cette vision-là ? En retraçant son propre parcours, les injonctions à la beauté qu’elle a reçues durant sa vie et l’histoire mouvementée de la Catalogne, Ofèlia ouvre une boite de Pandore. Un tourbillon de questionnements qui finit par trouver du sens sur le papier, un endroit « qui rend les choses plus réelles » selon elle, pourtant rompue au podcast et aux vidéos.

La beauté, c’est politique

« Parfois, je pense que la beauté est à la frontière avec le moche et le désagréable », raconte Ofèlia, qui en essayant de définir les contours de la beauté a surtout réussi à les complexifier. Au final, ce serait, résume-t-elle, beaucoup affaire de liberté, de pouvoir « décider ce qui te plait à toi, et à partir de là créer tes propres règles ». Pourtant, elle avoue avoir encore des contradictions, comme aller faire une manucure seulement pour elle, mais en souffrir. C’est que la beauté « est ambitieuse et veut toujours plus. Il faut vivre avec ça et l’accepter ».

Finalement, il n’y a pas de définition précise de la beauté catalane, en partie car le monde de l’esthétique ne lui est pas destiné. Sur les étiquettes des produits au Sephora de Barcelone, les explications sont en anglais. Sur les réseaux sociaux, culturellement, tout vient des Etats-Unis. « Mais nous avons de plus en plus d’icônes qui s’exportent comme Rosalía et Bad Gyal et qui transmettent une image de ce qu’est la femme catalane », se réjouit la jeune femme.

Lire aussi : Les Catalanes et le maquillage, une relation complexe

Et quand on lui demande si parler de beauté au 21e siècle est un sujet politique, Ofèlia répond d’abord qu’elle ne pensait pas, au départ, et puis finalement si : « maintenant je me dis que peut-être. Je suis très contente d’avoir fait plein d’interviews pour ce livre mais jusqu’ici ça a été seulement par des femmes, comme si ça les intéressait seulement elles. Je comprends que cette expérience soit très féminine, mais de mon côté je m’intéresse aussi à des histoires écrites par les hommes, car c’est considéré comme universel. Donc je pense que oui, c’est politique ». 

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