Arrivés en nombre dans les années 2010, les Roumains d’Espagne quittent peu à peu le pays. Un exode multi-factoriel qui pénalise le secteur de la construction, devenu très dépendant de la main d’oeuvre d’Europe de l’est.
Elle vient de faire son entrée dans l’espace Schengen, 18 ans après avoir pénétré l’Union Européenne. La Roumanie est, depuis le 1er janvier 2025, un membre de la communauté européenne au même titre que n’importe quel pays comme la France, la Belgique, ou l’Espagne.
Une Espagne qui, après des années à accueillir massivement les ressortissants roumains n’est plus l’eldorado de travail qu’elle fut longtemps à leurs yeux. Si il y a 13 ans, selon l’Institut national de statistiques (INE), la communauté roumaine était la première communauté étrangère d’Espagne avec environ 800 000 ressortissants, les temps ont bien changé. Aujourd’hui, la même enquête enregistre une baisse de 30 % de cette communauté. Une perte de 2 millions devenue un réel manque à gagner.
« Le miracle roumain »
Les experts l’appellent « le miracle roumain ». D’un des pays les plus pauvres de l’Europe en 2008, post crise financière, la Roumanie est devenue l’un des plus prometteurs grâce à un développement du PIB national inattendu. Selon une étude récente de la Banque centrale européenne, le pouvoir d’achat par habitant est passé d’à peine 25 % au début des années 1990 à près de 80 % aujourd’hui, se rapprochant des scores de ses voisins européens.
Et alors que le pouvoir d’achat roumain baisse, celui de l’Espagne stagne. En ajoutant à cela une pression fiscale moindre en Roumanie qu’en Espagne et un taux de chômage plus bas là-bas (5% en Roumanie contre 11% en Espagne), il n’en fallait pas plus pour que les travailleurs exilés rentrent au pays. Le problème, c’est qu’il n’y en a pas d’autres qui arrivent.
Selon la Sécurité sociale espagnole, l’année passée a connu une forte diminution du nombre de travailleurs roumains de moins de 35 ans en Espagne, passant de 50 % en 2012 à 22 %, tandis que le nombre de travailleurs plus âgés a augmenté. Peu de nouveaux travailleurs donc, tandis que que ceux qui sont arrivés il y a des années vieillissent.
Les Roumains qui ont fini leur carrière professionnelle font aussi le choix de retourner au pays. En effet, pour la première vague de travailleurs venue en Espagne vers les années 1990, il est l’heure de partir à la retraite. Or dans la majorité des cas, les personnes vieillissant désirent finir leurs jours dans le pays qui les a vu grandir.
Un divorce encore nuancé
Cette fuite roumaine pose surtout problème dans le secteur de la construction. Si les carnets de commande sont pleins, la main-d’oeuvre manque plus que jamais, expliquait Pedro Fernández Alén, président de la confédération nationale de la construction à El País : « nous sommes arrivés à un point où le manque de main-d’œuvre commence à ralentir les projets, en particulier dans le secteur du logement. Si nous ne résolvons pas ce problème, il sera difficile de répondre à la demande ». Une demande d’ailleurs intarissable, puisque l’Espagne est particulièrement touchée par la crise du logement et impactée par les inondations de Valence, concentrant encore aujourd’hui tous les ouvriers disponibles des alentours.
Or, les Roumains souvent employés dans le secteur étaient devenus une main d’oeuvre demandée, notamment la deuxième génération d’immigrés. En effet, ceux-ci ont souvent suivi des formations spécialisées faisant d’eux des ouvriers qualifiés : un profil ardemment recherché dans la profession, qui se plaint année après année de la fuite des talents partis trouver ailleurs un salaire plus élevé. Les Roumains qualifiés, eux aussi suivent cette tendance. Ils savent qu’ils peuvent désormais passer de salarié espagnol à entrepreneur en Roumanie.
L’abandon des Roumains met donc le secteur de la construction en tension, même si le phénomène est à nuancer, explique Stefan Posea, économiste chez ING au média El Economísta : « le développement régional inégal en Roumanie reste un obstacle majeur pour ceux qui ne considèrent que leur ville natale ou leur village comme une option de retour. En général, bien qu’il y ait quelques cas de retour de Roumains, ce n’est pas encore une tendance extrêmement répandue car il y a de nombreux facteurs limitants ».
En effet, si la situation en Roumanie s’améliore, tout n’est pas parfait. Dernier exemple en date, l’annulation des élections présidentielles de décembre 2024 pour corruption. Il reste encore beaucoup à construire en Roumanie : le divorce avec l’Espagne n’est pas encore tout à fait signé.