À Barcelone, on a perdu 30 minutes de sommeil en 40 ans, selon une récente enquête de l’Agence de la santé de Barcelone. Décryptage d’un phénomène inquiétant.
Les Barcelonais seraient passés de 7h30 de sommeil en 1980 à seulement 7h environ aujourd’hui. Un trouble pour la santé qui peut s’expliquer par un certain retard de l’Espagne en matière de prévention. Si aux États-Unis, un nombre important de campagnes de santé publique sur la qualité et la durée du sommeil existent, ce n’est le cas ni en France ni en Espagne, explique à Equinox Pierre Philip, Chef du service de la médecine du sommeil à l’Université de Bordeaux.
La fameuse enquête annuelle de l’Agence de Santé publique n’a commencé à questionner les Barcelonais sur la qualité de leur sommeil qu’en 2021. Et il s’avère que 23,5 % des hommes et 31,6 % des femmes déclarent avoir une mauvaise qualité de sommeil.
Ce manque de prévention et d’informations sur le sujet – qui représente quand même environ 25 ans de nos existences – entraîne une pauvre santé du sommeil. Or, un excès de fatigue peut causer des problèmes graves comme la myocardie, des accidents vasculaires cérébraux, de l’hypertension, de l’obésité, du diabète, des problèmes de santé mentale ou des maladies dégéneratives comme Alzheimer ou Parkinson, rappelle l’Agence de santé publique catalane.
Photo : 10 000 hours
« J’étais tout le temps fatigué, des cernes en bas des chevilles et donc peu d’énergie », témoigne Hugo, 27 ans, épuisé par le bruit en bas de son immeuble. Ce Français de Barcelone qui réside près du métro Verdaguer dans le quartier de Gràcia habite au-dessus d’un bar. Au fur et à mesure et après maintenant quatre mois dans l’appartement, ce commercial originaire du sud-ouest s’est fait à l’idée que ses nuits soient compliquées : « on s’y habitue un peu, mais ça n’empêche pas de se réveiller quasiment toutes les nuits (malgré les bouchons d’oreilles) à cause d’un scooter ou de la fermeture du bar en bas ».
Le bruit est donc responsable des désagréments que subit Hugo, et ce n’est pas étonnant quand on sait qu’une grande partie des rues de Barcelone ont des taux de décibels bien au-dessus de la limite recommandée par l’OMS. D’abord parce que Barcelone a beaucoup de trafic routier, mais surtout parce que l’isolation des bâtiments est mauvaise. « Mes fenêtres sont super fines, en simple vitrage, ce qui ne filtre absolument aucun décibel », explique d’ailleurs Hugo.
Le sommeil : une affaire de classes sociales
La solution pour Hugo serait donc de mieux isoler son appartement, sauf que cela coûte (très) cher. « Les pauvres ont plus de désagréments et une qualité de sommeil moindre que les ultra-riches », renchérit Pierre Philip. En cause donc, cette moins bonne isolation mais aussi leur lieu de vie qui impacte la durée du sommeil : les personnes moins aisées vivent plus loin des centre-villes et se lèvent plus tôt que les autres pour se rendre au travail.
C’est aussi la conclusion de l’Agence de santé publique. En effet, les graphique sont formels : en 2021 (dernières données disponibles), près de 40% des foyers les plus pauvres n’avaient pas accès à un nombre d’heures de sommeil suffisant contre 22% des foyers les plus aisés.
Photo : Agència de Salut Pública Barcelona
Le sommeil serait donc une affaire de classes sociales ? Pas seulement. Il est aussi affaire de genre et de construction sociale, puisque les femmes sont celles qui dorment le moins bien, nous informe encore l’enquête. On l’explique en partie par le taux d’anxiété plus important ressenti par ces dernières, dû à une charge mentale liée aux tâches ménagères et à l’organisation du foyer.
Barcelone et le problème du social jet-lag
Pour pallier la mauvaise santé du sommeil, le professeur est catégorique. Même si ce que vit Hugo est assez insupportable, ce n’est pas le nombre de réveils par nuit qui influe sur le repos, mais bien la régularité de celui-ci. « La durée du sommeil n’est pas quelque chose de très pertinent. Quand on regarde les facteurs de santé c’est plutôt l’irrégularité qui pose problème et qui détruit le système cardiovasculaire. C’est ce qu’on appelle le social jet-lag », explique celui qui vulgarise le sujet du sommeil sur Instagram, pour ses 30 000 abonnés. Le social jet-lag, c’est la discordance entre notre besoin de sommeil et ce que nous impose notre vie quotidienne.
À Barcelone, cette dissonance est particulièrement vraie. En effet, la ville est sans cesse bourdonnante et invite à sortir, que ce soit en semaine ou le week-end. Sauf que comme l’explique le professeur, « le meilleur conseil en termes de santé publique c’est de régulariser son sommeil, en l’accordant la semaine et le week-end ». Pour résumer, il faudrait se coucher et se réveiller à la même heure tous les jours. Une routine difficile à installer mais nécessaire pour être en bonne santé.
Et la sieste, alors ? « Surtout pas », explique le professeur, « si vous avez besoin de faire une sieste, c’est un marqueur de danger pour votre sommeil ».