Le 28 décembre en Espagne correspond à la commémoration des Saints Innocents, une journée où toutes les blagues sont permises, et pourtant son origine est tragique. Florence Siguret, guide de référence à Barcelone Autrement nous explique les dessous de cette tradition qui amuse aujourd’hui petits et grands.
Photos : LS/Equinox
Il n’y a rien d’amusant à l’origine de cette journée particulière du 28 décembre. En effet, la journée des Saints Innocents, dans la tradition catholique, commémore un événement tragique et particulièrement cruel. Dans l’évangile selon Saint Mathieu, le roi Hérode venait d’apprendre par ses devins qu’un enfant du nom de Jésus était né et qu’il serait le futur roi des Juifs. Craignant pour son pouvoir, Hérode donne l’ordre à ses soldats de tuer tous les enfants de moins de 2 ans du royaume. Cet événement est resté célèbre sous le nom de « massacre des innocents » et est commémoré le 28 décembre.
Sur la façade de la Nativité de la Sagrada Familia, une scène rappelle d’ailleurs cet épisode de la Bible : Gaudí a choisi de représenter un soldat romain, avec un enfant dans sa main, levé au-dessus de sa tête, dans un geste de violence qui fait froid dans le dos. Au sol, des enfants assassinés gisent à ses pieds. Cette scène terrible a en plus un détail hautement symbolique. Le soldat romain a une particularité physique impossible à voir pour les visiteurs mais pourtant bien présente et lourde de sens : ce soldat a 6 orteils. Une anomalie physique qui fait écho à l’anomalie du geste de tuer des enfants et vient renforcer la cruauté de l’acte.
Alors si l’origine du 28 décembre est tragique, pourquoi fait-on des blagues ce jour-là ?
Certaines sources indiquent que pour éviter que leurs enfants soient massacrés suite à l’ordre d’Hérode, les familles auraient inventé des stratagèmes ou des pièges pour berner les soldats romains. D’autres indiquent que ce serait plutôt les origines païennes de la célébration qui en feraient une journée de fête. En effet, cela pourrait venir du monde paysan qui, à l’époque de l’hiver, une période de basse activité dans les champs, organisait des journées de festivités pour passer le temps, et ce jusqu’au moment du Carnaval. D’ailleurs, il y a un dicton catalan qui dit « de Nadal a Carnestoltes, set setmanes desimboltes » (« de Noël à Carnaval, sept semaines désinvoltes »).
Un 1er avril biblique
Dans tous les cas, le jour des Saints Innocents est aujourd’hui une journée amusante, très proche du 1er avril, qui lui, tirerait ses origines de l’Antiquité grecque (une célébration du dieu Momos, le dieu du rire). Le 28 décembre est donc le jour des farces, des canulars, des blagues, des « inocentadas ». On joue sur le sens du mot « innocent » pour transformer un événement tragique en une journée de légèreté.
En Espagne, on ne trouve pas de poissons mais des petits bonhommes découpés dans du papier, que l’on va s’amuser à se coller dans le dos en faisant bien attention à ce que la personne ne se rende compte de rien. On fera des blagues au téléphone, on inventera des histoires, on fera des farces en tout genre, un phénomène largement amplifié par les réseaux sociaux et dernièrement, grâce à l’intelligence artificielle avec laquelle on peut tout inventer !
Dans la presse, les journalistes rivalisent d’imagination pour trouver LA nouvelle qui va berner tout le monde. À Barcelone, certaines années, on nous a annoncé la construction d’un téléphérique entre le Tibidabo et la plage de Nova Icària, la découverte, dans le cadre de travaux à l’université, d’une variété de pomme de terre pré-colombine, le tournage de la série Dr House à l’Hospital Clínic, ou bien que Kylian Mbappé avait complètement changé d’avis et allait signer au Barça…
Dans tous les cas, c’est vraiment l’humour qui est au cœur de cette journée. Alors faites attention à ce que vous lirez ce jour-là dans les médias, il se peut qu’on vous raconte des sornettes !
