À Barcelone, des soirées sans portable pour (re)découvrir la vraie vie

Equinox Barcelone

Entre dépendance et hyper-communication, le téléphone est autant le mal du siècle que son accomplissement le plus flamboyant. Et si l’histoire de quelques heures, on s’en passait ? C’est ce que propose le Offline Club, qui a ouvert son activité à Barcelone il y a peu. Reportage au pays de la déconnexion. 

Photos : Offline Club

« Combien de temps passez-vous sur votre téléphone avant de dormir ? ». Bonne question. L’une des nombreuses accrochées aux murs du Saga Coffee Stories de Barcelone ce soir-là, lors d’un événement unique en son genre : le Offline Club. Littéralement « Hors-ligne Club », le concept de la soirée est très simple : passer quelques heures sans portable pour (ré)apprendre à se parler et à s’occuper sans écran.

Pour y participer, il faut s’inscrire et payer la modique somme de 8,50 euros, boissons et nourriture non-incluses. Car oui, pour se séparer de son téléphone, il faut payer. Une absurdité qui ne l’est pas tant, quand on sait le mal que beaucoup de personnes ont à se séparer de leur écran. Ici, un peu comme chez la psy, on paie pour s’obliger à faire une pause.

Ce soir de semaine hivernale, une vingtaine d’individus venus seuls ou par deux, de nationalités différentes, de 20 à 45 ans et très majoritairement des femmes pénètrent dans ce café situé dans l’Eixample. À l’entrée, on nous prie de déposer notre portable dans « l’hôtel à téléphones », un simple casier, et de ne pas y toucher pour les 3 heures suivantes.

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L’endroit est propice à la détente : lumières tamisées, musique lounge, fauteuils confortables… Et sur de petites tables, d’étranges questionnaires intitulés « Journaling Prompts – y répondre avec intention ». Cet événement du Offline Club, à contrario des autres, a un thème : celui de l’introspection, presque du développement personnel. Une volonté de faire le bilan qui tombe à pic en ce mois de décembre.

Monique, coordinatrice de l’événement, explique le déroulé de la soirée : « environ 40 minutes seul, où vous pouvez prendre le temps de répondre aux questions pour réfléchir sur vous-même ou votre vie, ou lire, peindre, tricoter, puis un temps de rencontre avec des jeux de société à disposition ». 

Après le « journaling » (pratique consistant à coucher sur le papier ses pensées, ses émotions ou encore le plan de sa journée), il est temps de parler à des inconnus. Alors que les gens se rassemblent en petits groupes de 4 ou 5, les questions profondes tirées d’un jeu de cartes fusent : « quel obstacle t’empêche d’atteindre ton objectif ? », « que penses-tu avoir découvert dans la vie que d’autres n’ont pas encore découvert ? ».

Magdalena, une Polonaise de 39 ans, Mercè, une Espagnole de 31 ans et Lorenza, une Italienne de 29 ans font partie de celles et ceux (souvent des expats) qui se prêtent au jeu avec des rires gênés et la même volonté : celle de se découvrir et de découvrir les autres, sans la toxicité du téléphone qui coupe la communication.

Une déconnexion mondiale

« Je suis venue avec le vrai besoin de me déconnecter », raconte l’Italienne, qui revient d’un long voyage en Asie. « Le téléphone a changé nos vies. Avant, quand je ne savais pas quelque chose je regardais dans le dictionnaire ou je demandais à mon père », dit-elle en rigolant, avant d’ajouter avec une pointe d’amertume, « maintenant c’est facile, tu as accès à tout en quelques secondes. Parfois je me lance un défi, quand je veux aller quelque part je me force à ne pas regarder mon portable et à me repérer seule ».

Lunaire pour les plus anciens d’entendre ce genre de commentaires, mais c’est vrai : on ne peut – presque – plus rien faire sans nos mobiles. Surtout, on arrive moins bien à communiquer, et « on se compare, on s’angoisse », continue Lorenza, qui habite à Barcelone depuis 5 ans.

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Une toxicité qui gagne aussi les moments de convivialité. Combien de fois, lors d’un repas, un des invités a la tête baissée pendant de longues minutes, scrollant à l’infini sans écouter ce que les autres racontent ? C’est cette aberration le point de départ de la création du Offline Club, né en février dernier à Amsterdam.

Un besoin de plus en plus répandu 

Il y a quelques années, des amis Hollandais partent un week-end en vacances, décidant de ne pas toucher à leurs téléphones pendant leur séjour. Un moment révélateur qui les décident à organiser quelques temps plus tard le premier Offline Club. Après une vidéo devenue – assez ironiquement – virale, le concept s’exporte. Aujourd’hui les évènements Offline ont lieu à Paris, Milan, Londres, Dubai, Prague, La Haye, Aarhus, Utrecht, Groningen, Amsterdam et bien sûr Barcelone.

Prochaine étape ? « Une journée entière de déconnexion », confie Monique. Le succès de l’opération n’est pas vraiment étonnant : il semble que le monde entier crie son envie de stopper l’addiction. Entre Tiktok, Instagram, l’information en continu, les dizaines de messages et les jeux en ligne, le téléphone va au même rythme que la vie : trop vite.

En Espagne, 50% de la population dit passer entre 1h et 5h par jour sur internet. Ainsi, outre le Offline Club, d’autres solutions voient le jour, comme la tendance des « dumb phones ». Au contraire des « smartphones », ces téléphones n’ont pas accès à internet et servent uniquement à passer des appels ou envoyer des messages.

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Un concept adopté en grande majorité par les plus jeunes. En Espagne, 75 % des 18-35 ans ont décidé d’utiliser leur mobile pendant moins de temps et plus de la moitié d’entre eux a déjà envisagé une désintoxication numérique, c’est-à-dire couper leurs téléphones. Pour la chercheuse de l’Université de Catalogne en sciences de la communication Sílvia Martínez, cette décision « les aide à prendre leurs distances et à profiter davantage de leur temps ».

Au Offline Club aussi, on profite davantage de son temps sans mobile, même si l’absence de téléphone peut se faire sentir, par exemple lorsqu’en se quittant les filles veulent échanger leur numéro : « ah mais non en fait, on ne peut pas ! », s’exclament-elles en riant. Et chacune de prendre un bout de papier pour y noter son contact, à l’ancienne.

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