Stéphane Vojetta : « L’Espagne pourrait bénéficier d’une chute de l’attractivité de la France »

Stéphane Vojetta, député de la circonscription des Français installés en Espagne, réagit auprès d’Equinox sur la situation politique dans l’Hexagone et les possibles répercussions en Espagne.

Finalement, l’Espagne est un pays stable politiquement et institutionnellement…

Quand on se regarde, on se désole et quand on se compare, on se console. Pendant longtemps, c’est ce que se disait la France en regardant l’Espagne, désormais, c’est peut-être l’Espagne qui va se le dire en regardant la situation politique française. N’oublions pas que l’Espagne, en 2019, a vécu une censure du gouvernement de Mariano Rajoy, et qu’il y a eu quatre ou cinq budgets qui ont dû être prorogés faute de majorité parlementaire. Finalement, on réalise que la France et l’Espagne se ressemblent beaucoup. Nous sommes des voisins, des cousins, et nous avons souvent les mêmes défauts.

Si la France connait des turbulences économiques, est-ce que cela pourrait affecter l’Espagne ?

Les turbulences économiques que pourrait connaître la France sont de deux ordres. Si un gouvernement géré par le Nouveau Front Populaire venait à gouverner la France, il y aurait une énorme perte d’attractivité du pays pour les investisseurs, pour nos entreprises, qui auraient sans doute tendance à aller s’installer ailleurs. L’Espagne pourrait bénéficier de certaines de ces expatriations, appelons-les comme ça, soit d’entreprises, soit d’investisseurs qui décident de déployer leur capital ailleurs qu’en France. Donc l’Espagne pourrait éventuellement bénéficier d’une chute de l’attractivité de la France.

En revanche, du point de vue de la situation financière, si jamais la France devait entrer dans une spirale négative de hausse de son spread de taux d’intérêt, la fameuse prime de risque, cela rendrait plus difficile l’accès de la France au marché de capitaux, et sa capacité d’émettre de la dette pour financer son déficit, et refinancer sa dette existante, il y aurait une contagion au reste de l’Europe, tôt ou tard.

Car comme on l’avait vu en 2011 et 2012, quand un pays européen commence à éprouver des difficultés financières, il y a souvent une contagion qui s’installe. Et qui met les pays similaires dans des situations également de stress financier. Et donc l’Espagne, même si elle a plus de croissance que la France, elle a quand même un ratio d’endettement assez élevé. Donc si les marchés commencent à perdre confiance en la France et à imaginer que la France pourrait un jour sortir de l’euro, l’Espagne ne serait pas épargnée. Elle aussi verrait se surenchérir son taux d’endettement sur les marchés internationaux.

A chaque fois que des forces radicales ou jusqu’au-boutistes arrivent au pouvoir, l’instabilité s’installe. On l’a vu avec la majorité indépendantiste en Catalogne en 2017. Comment avec 211 de députés extrémistes (LFI et RN) soutenus par 121 parlementaires communistes, socialistes et écologistes, un prochain gouvernement pourrait-il tenir plus de trois mois ?

Alors attention, le fait que le RN et le NFP se donnent éventuellement la main pour voter ensemble afin de censurer le gouvernement de Michel Barnier, et donc envoyer la France dans l’inconnu, sans gouvernement, sans budget, sans perspective et sans stabilité, ce fait-là n’implique pas que le RN et le NFP seraient capables le lendemain de proposer un gouvernement conjoint alternatif.

Le RN et le NFP n’ont pas de majorité alternative à proposer. Et ce qu’ils feraient simplement en faisant tomber le gouvernement Barnier serait rouvrir une nouvelle page d’incertitude. Où finalement il incomberait à nouveau soit à l’Assemblée nationale, si elle en est capable comme je l’espère, soit au président de la République, comme il l’a fait l’été dernier, de consulter pour déterminer s’il peut exister une combinaison d’hommes et de femmes raisonnables dans cet espace central qui soient capables de former un socle majoritaire. Ou en tout cas qui puisse être incarné dans un gouvernement d’union nationale.

Stéphane Vojetta

Emmanuel Macron doit-il démissionner pour ouvrir un début de solution ?

On a vu l’été dernier les conséquences d’une dissolution surprise qui débouche sur une élection accélérée et sur une campagne précipitée où chaque camp finalement se contente de faire une campagne avec une caricature de lui-même. Sans aucune nouveauté, sans aucun débat de fond. Je pense qu’il serait négatif, néfaste pour la France que l’élection présidentielle, qui sera un moment de choix décisif pour la nation, soit bâclée. Par une décision de démission d’Emmanuel Macron qui nous obligerait à aller vers une élection précipitée avec un premier tour un mois plus tard.

La France a besoin d’une campagne présidentielle de fond où chacun des trois camps principaux puissent exposer clairement de quelle manière ils souhaitent répondre aux défis actuels. Que ce soit le défi de la dette, de la compétitivité et du pouvoir d’achat. Et pour cela, nous avons besoin de temps et je ne pense pas qu’une décision de démission du président de la République, que je ne souhaite pas, apporterait une réponse satisfaisante.

On note une forte hausse de nouveaux expatriés français à Barcelone. Certains observateurs estiment qu’il y a désormais prés de 100 000 Français installés à Barcelone et dans sa grande couronne. Pensez-vous que la situation politique en France et ses risques financiers stimulent l’expatriation ?

Effectivement, il y a un scénario dans lequel ce flux d’émigration depuis la France vers l’Espagne et la Catalogne en particulier pourrait s’amplifier et accélérer en cas d’instabilité et de manque de perspective, de perte d’attractivité de la France. Et plus particulièrement si cette instabilité politique devait se traduire, comme cela s’est vu ces dernières semaines, en augmentations d’impôts. Que ce soit sur les entreprises ou sur les particuliers, ce qui aurait pour conséquence de convaincre certains entrepreneurs de choisir de franchir la frontière pour trouver un peu plus de stabilité et de visibilité pour leur vie personnelle ou entrepreneuriale.

Ceci dit, pour l’instant, quand j’écoute les Français qui sont arrivés récemment en Espagne et que je les questionne sur les raisons de leur choix, j’entends beaucoup plus régulièrement des justifications basées sur une perception de plus grande sécurité en Espagne relativement à la France. Donc il y a une volonté d’offrir un environnement plus sûr, notamment à leur famille, qui motive les nouveaux arrivants français à s’installer en Catalogne ou à Madrid ou dans le reste de l’Espagne.

De nouvelles élections législatives semblent plus que probables cet été. Le cas échéant, seriez-vous de nouveau candidat ?

Je n’ai pas envie de me projeter excessivement et de penser à une prochaine dissolution. Je pense qu’on en est encore très loin. Dans tous les cas, elle ne se matérialiserait pas avant l’automne 2025. Mais ce que je peux vous dire, c’est que mon travail et mes combats pour les Français de l’étranger sont loin d’être terminés. Mais aussi que je suis engagé également sur une cause extrêmement importante, qui est le combat contre les dérives du numérique. C’est un combat pour lequel j’ai créé une plateforme transpartisane avec Arthur Delaporte, député socialiste. Et notre travail conjoint nous permet de nous assurer d’avoir une majorité stable et donc d’enjamber les chutes des gouvernements éventuels qui se présenteront au fil de l’eau. Car nous savons que le travail que nous avons engagé pour une meilleure régulation des réseaux sociaux, pour une meilleure protection des enfants en particulier vis-à-vis des dérives du numérique, c’est un travail de longue haleine pour lequel on a besoin de plusieurs années devant nous.

Donc en principe, j’ai l’intention de rester député jusqu’en 2027 au minimum. Et puis ensuite, à ce moment-là, nous verrons bien quelles seront les perspectives de la France et nous prendrons les décisions qui s’imposent à ce moment-là.

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