Alors que la France s’oppose farouchement à la signature du traité de libre-échange entre le Mercosur et l’UE, la situation en Espagne est plus nuancée. Ou plutôt divisée, entre volonté gouvernementale et réalité agricole.
Photo de couverture : Manifestation d’agriculteurs en février 2024 à Barcelone – AC/Equinox
Il est en négociation depuis 25 ans. Cette fin d’année 2024 devrait normalement voir, enfin, l’accord commercial de libre-échange entre les pays du Mercosur et l’UE signé. Sauf que certains pays s’y opposent, comme la France, chef-de-file de la contestation, où les manifestations agricoles ont lieu.
En Espagne, l’opinion est divisée. Si les hauts fonctionnaires poussent pour une signature au plus vite, les associations syndicales agricoles ne le voient pas d’un si bon oeil.
Les agriculteurs sont contre l’accord…
D’abord évoqué en 1999 mais finalement acté en 2019, puis négocié et renégocié, ce traité faciliterait les échanges commerciaux entre les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay), et ceux de l’Union Européenne. Actuellement, l’Espagne exporte pour – seulement – 400 millions d’euros de produits agroalimentaires en Amérique du Sud, alors qu’elle importe ce type de marchandises pour un montant de 4 milliards d’euros. Les dirigeants estiment donc que cet accord pourrait être favorable à l’économie du pays, ce que les associations agricoles nuancent avec véhémence.
En effet, elles pointent du doigt certains secteurs où une concurrence déloyale serait inévitable, comme dans le secteur de la viande, un des plus importants dans l’économie du pays, qui serait défié par l’Argentine, leader dans le domaine.
Les agriculteurs mécontents évoquent notamment les normes sanitaires agricoles. En effet, les pays d’Amérique du Sud n’ont pas à respecter les mêmes mesures que les pays européens concernant les salaires des mains d’oeuvres ou les pesticides et hormones utilisés. Ils craignent donc une importation à bas prix qui leur volerait certaines parts de marché.
Photo : Martí Petit – mairie de Barcelone
Du côté de l’environnement, aussi, l’accord serait une catastrophe, estiment les associations. Pour le Mercosur, ce traité pousserait à multiplier les produits exportés et donc à l’augmentation de la production. Une hausse qui nécessiterait fatalement plus de déforestation pour planter des champs destinés à la production intensive, dans une forêt amazonienne déjà défigurée par le commerce. Sans parler du coût énergétique des transports de marchandises, très émetteurs de gaz à effet de serre.
Pour résumer, cet accord historique irait tout simplement à l’encontre du principe de souveraineté alimentaire, estime Miguel Padilla, secrétaire général de la COAG (Comité de coordination des organisations d’agriculteurs et d’éleveurs) dans El Independiente : « nous voulons la souveraineté alimentaire et pourtant nous ouvrons les marchés pour ruiner nos producteurs. C’est incompréhensible, mais c’est encore plus incompréhensible quand on voit que ce sont les politiciens d’Espagne, où l’agriculture et l’élevage sont si importants, qui poussent à cela. Si vous ne défendez pas votre agriculture et votre élevage professionnel, la stratégie d’autonomie alimentaire et tout le reste sont superflus ».
… et les gouvernants sont pour
De leur côté, les responsables politiques espagnols dont Luis Planas, ministre de l’Agriculture, défendent becs et ongles cet accord, une nécessité pour peser dans « la balance très déséquilibrée » qui existe entre les pays du Mercosur et l’Espagne.
Lors de la conférence de presse donnée le lundi 18 novembre, le ministre a aussi évoqué l’importance de l’événement dans la géopolitique mondiale. Alors que Donald Trump vient d’être nommé à la Maison Blanche, il est urgent pour les pays européens de trouver d’autres pays que les Etats-Unis avec lesquels faire du commerce, estime le politique.
Il rappelle que lors de l’élection de Trump en 2019, celui-ci avait appliqué des droits de douane à 113 produits espagnols d’une valeur d’environ 7 milliards d’euros. Bien que ceux-ci avaient été suspendus en 2021 pour 5 ans, le retour au pouvoir du Républicain inquiète grandement dans les hautes sphères espagnoles.
Pour le moment, pas de manifestation agricole annoncée en Espagne, mais des blocages français sur les autoroutes franco-espagnoles, à la frontière. Concernant une signature imminente de l’accord, la présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen s’est exprimée ce lundi à l’aube du G20 brésilien (où les discussions concernant le traité devraient aller bon train), admettant que si « la dernière ligne droite est la plus importante, elle est aussi souvent la plus difficile ».