TRIBUNE COLLECTIVE : Le Lycée Français de Barcelone, un héritage menacé ?

Le lundi, Equinox diffuse une tribune d’opinion réservée à la communauté française de Barcelone. Cette semaine, la tribune est signée par plusieurs élus et hauts responsables.

Les Lycées français de l’étranger, que n’entend-ton pas à leur sujet ? Bien que l’on répète sans cesse qu’ils constituent un atout majeur pour la France à l’échelle mondiale, grâce à leur double vocation de former les enfants des Français établis hors de France et d’accueillir les élèves des familles des pays d’accueil désireuses de bénéficier d’une éducation française, ils demeurent incompris. Peut-être est-ce parce que leur histoire et leur contribution à la France sont méconnues ? Cette année, le Lycée français de Barcelone célèbre ses 100 ans. Cette commémoration offre une occasion unique de rappeler le relais concret qu’il a apporté et continue d’apporter à la France en Catalogne.

Le Lycée français voit le jour en 1924 et est alors administré par l’importante communauté française de Barcelone, avec la collaboration de l’Université de Toulouse. L’établissement croît rapidement, oscillant entre 200 et 300 élèves, accueillant essentiellement des Français et quelques Catalans. La guerre civile espagnole le met en difficulté, mais il parvient à surmonter l’épreuve. Le tournant majeur dans son histoire se produit en 1940, lorsque l’État français décide de le placer sous la tutelle directe du gouvernement français. D’importantes subventions lui sont attribuées pour l’acquisition de nouveaux terrains et la construction de bâtiments. En effet, les demandes d’inscriptions sont en nette progression, car la classe moyenne et aisée catalane cherche à contourner le régime scolaire imposé par le dictateur Franco, qui visait à endoctriner les esprits.

L’établissement s’impose très vite comme une oasis de liberté face à la répression extérieure, atteignant 1.000 élèves. Certes, l’établissement reconnaît l’autorité du régime de Vichy, mais il n’hésita pas à accueillir en son sein et à offrir la gratuité scolaire à tous les Juifs français, même à ceux dépossédés de leur nationalité, fuyant la France. Dans la tourmente fasciste, le Lycée était de facto un îlot humaniste qui se rapprocha progressivement de la résistance.

Ces dispositions finirent par être connues du régime de Vichy, qui procéda à la destitution de l’équipe dirigeante en mai 1943. L’établissement fut alors confié à des fascistes sans vergogne, déterminés à traquer les Juifs cachés et à façonner l’école selon des critères fascistes. Cependant, la quasi-totalité des élèves et du corps professoral refusèrent cette nouvelle situation et suivirent les dirigeants destitués pour fonder une école liée au gouvernement d’Alger, puis de De Gaulle. Dans cette aventure, de nombreux Catalans décidèrent de suivre la résistance française, au risque d’être pourchassés par le régime franquiste. En effet, nombreux sont les Catalans qui s’identifièrent à la lutte de la résistance en faveur de la démocratie. En 1944, l’établissement administré par Vichy disparaît en même temps que le régime qu’il représentait et remet ses clés aux dirigeants destitués en mai 1943. Fort de cette victoire, le Lycée français est alors auréolé d’un prestige incomparable et s’engage dès lors dans un soutien actif à la culture catalane pendant toute la dictature franquiste (1939-1976), en employant comme enseignants de nombreux intellectuels, artistes et musiciens catalans.

Le Lycée français de Barcelone connaît un brusque revirement en 1968, lorsque les Catalans le quittent massivement en réaction à la volonté de son nouveau proviseur de franciser l’établissement et son personnel. Une crise éclate, dont les conséquences ont durablement marqué le paysage scolaire barcelonais, avec la création de quatre nouvelles écoles qui naissent de cette scission : les actuels lycée français de Gavà, de Reus, et de Bel-Air, ainsi que l’école catalane Aula-Europa.

Malgré les apparences, l’influence française est sortie renforcée de cette crise, car celle-ci a permis, par la multiplication des lycées français dans la région, d’élargir l’offre éducative, preuve que l’éducation française attirait encore malgré les évènements. De même, dans les années qui suivirent, l’établissement continua d’accueillir de nombreux enfants catalans, car, malgré les crises, le Lycée dispose d’un ancrage local très solide et établit des relations avec les établissements nés de cette scission.

Cet ancrage est en partie le fruit des choix des différents gouvernements français depuis 1945 de soutenir financièrement un établissement destiné à entretenir des relations avec les Catalans. Les retombées sont perceptibles. En témoignent les acteurs politiques et économiques catalans, tels que Pascual Maragall ou Artur Mas qui, après la Transition démocratique de l’Espagne, n’ont pas oublié le Lycée et la France. En témoignent également les anciens élèves catalans du Lycée qui, une fois leur carrière professionnelle lancée, ont apporté leur contribution aux relations franco-catalanes, pleinement complémentaires des relations franco-espagnoles, en donnant vie aux accords économiques et culturels. Même ceux qui n’ont pas été inscrits au Lycée connaissent l’établissement, tant il est ancré dans la mémoire collective catalane.

Dans les années 1990-2000, le prestige et le succès du Lycée étaient tels que les refus d’inscription augmentèrent. L’établissement comptait 3.400 élèves pour un bâtiment prévu pour 3.000. Tous les ingrédients étaient réunis pour financer son agrandissement. Cependant, des réductions financières et des choix politiques finirent par avoir raison du projet. Et, depuis quelques années, pour le Lycée, comme pour l’ensemble des lycées français de l’étranger, rayonner à bas coût est devenu un horizon politique. Or, l’histoire spécifique du Lycée français de Barcelone invite à la réflexion sur l’ensemble du réseau. Les Lycées français de l’étranger sont des relais qu’il faut entretenir, des ponts pour bâtir, continuellement, l’amitié entre les peuples et, par la même occasion, des gages pour l’avenir.

Signataires :

Horn Guillaume, doctorant en histoire spécialisé dans la mémoire et l’histoire de la France en Catalogne ; López Javi, vice-président du Parlement européen ; Iceta Miquel, ambassadeur délégué permanent de l’Espagne auprès de l’UNESCO, ancien ministre de la culture espagnol ; Ballarín Cereza Laura, eurodéputée espagnole et secrétaire de politique européenne et internationale du PSC ; Bondesio Alberto, député au Parlement catalan ; Rabell Lluis, conseiller municipal d’Éducation de Barcelone ; Vilanova Francesc, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Autonome de Barcelone ; Prandi Elisabeth, cinéaste franco-catalane, Chantrel Yan et Conway-Mouret Hélène, sénateurs des Français établis hors de France ; Chaveau Frédéric et Montinard Mélanie, membres du Conseil d’administration de l’AEFE ; Lecomte Gaëlle, conseillère de la péninsule ibérique à l’Assemblée des Français de l’Étranger ; Saint-Dizier Ana, présidente du Conseil consulaire de Barcelone ;Ogonowski Philippe, conseiller des Français de l’Étranger auprès du Consulat de Barcelone.

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