Les lieux de culte musulmans constituent en Espagne des cibles stratégiques pour étendre certaines influences étrangères. Etat des lieux.
Photo : Mosquée-cathédrale de Córdoba – Gabriel Trujillo
En 1992, un accord de coopération a été signé avec la Commission islamique d’Espagne (CIE), la reconnaissant comme l’interlocuteur de la communauté musulmane et soulignant l’importance historique de l’islam dans la formation de l’identité espagnole. Le texte encadre les mosquées et l’accréditation des imams, mais laisse en suspens la question du financement, qui repose sur de modestes subventions de l’État et les contributions des fidèles. Une situation qui a permis à des pays comme le Maroc et l’Arabie Saoudite de s’impliquer pour combler les besoins religieux des musulmans étrangers et espagnols vivant dans la péninsule.
« Tant que nous n’avons pas nos propres imams, il vaut mieux que les mosquées soient sous la gestion du Maroc. Son modèle, basé sur la modération, est préférable au radicalisme prôné par l’Arabie Saoudite ou les Émirats dans d’autres mosquées », avait déclaré en 2018 Abdelkrim Alal, ancien président de la Commission islamique de Melilla. Voilà une affirmation qui plante le décor.
Deux stratégies différentes
Pour l’Arabie saoudite, la promotion du wahhabisme, une interprétation stricte et conservatrice de l’islam, représente un enjeu central de sa politique étrangère. En finançant la construction de mosquées et en formant des imams selon cette vision rigoriste, Riyad cherche à diffuser son modèle religieux bien au-delà de ses frontières. Selon l’expert en géropolitique du Magrheb et du Proche-Orient Carlos Palominas, cette stratégie s’inscrit « dans une ambition plus large de positionner l’Arabie saoudite comme le leader du monde musulman, en particulier face à d’autres pays musulmans influents comme la Turquie ou l’Iran ». Elle se traduit en Espagne par des financements directs pour la construction de lieux de culte, mais aussi par des subventions pour former des religieux aux enseignements wahhabites.
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De son côté, le Maroc met l’accent sur un islam modéré, souvent décrit comme un « islam du juste milieu », pour se démarquer des influences plus radicales, poursuit notre expert en géopolitique. Pour Rabat, l’enjeu principal est de conserver un lien fort avec la diaspora marocaine, qui représente une part importante des musulmans d’Espagne. Ce contrôle religieux sert aussi à préserver l’image du Maroc comme un pays modéré et stable, en phase avec les exigences sécuritaires des pays européens et en ligne avec une politique de coopération dans la lutte contre le terrorisme.
Ces deux influences étrangères dans les mosquées d’Espagne révèlent des stratégies géopolitiques complexes qui vont au-delà de la simple pratique religieuse. Mais toutes les deux soulèvent aussi des enjeux importants pour l’Espagne : la question de la souveraineté religieuse et de la sécurité nationale.