Les autorités catalanes se trouvent démunies face aux réseaux criminels exploitant des travailleurs précaires dans les supérettes de Barcelone et de sa région.
« Nous n’avons pas d’outil pour contrer ce type de mafias qui importe de la main-d’œuvre en provenance du Pakistan ». De concert, la Police nationale en charge de la lutte contre l’immigration illégale et les Mossos d’Esquadra garants de la sécurité quotidienne avouent ne pas pouvoir faire grand-chose contre le quasi-esclavage moderne qui se déroule dans l’enceinte des supérettes de Barcelone. Un constat corroboré par l’Inspection du Travail du gouvernement de Catalogne.
Venus du Pakistan, mais aussi de l’Inde et du Bangladesh, certains travailleurs au sein des supérettes locales sont soumis à des conditions de travail épuisantes et opèrent souvent sans contrat. À la limite de l’esclavagisme, nombreux sont ces vendeurs ou caissiers qui travaillent sans rémunération, nourrissant l’espoir d’une régularisation future leur permettant de rester en Espagne. Dans cet objectif, certains contractent des dettes allant de 6 000 à 30 000 euros dans leur pays d’origine, qu’ils doivent rembourser à des organisations mafieuses en trimant dans les supermarchés.
C’est pour cela qu’ils ne parlent pas de leurs conditions avec la police, dans le but d’obtenir des papiers, expliquent des responsables des Mossos d’Esquadra. Par ailleurs, aussi choquant la situation soit-elle, « comme les droits du travail sont inexistants dans leurs pays d’origine, dans les meilleurs cas s’ils gagnent 700 à 1 000 euros pour un nombre incroyable d’heures, ça reste une avancée sociale de leur point de vue », affirme une source policière. Complétement déconnectés de la réalité du pays où ils vivent, ces personnes, bien souvent, ne se perçoivent pas elles-mêmes comme des victimes. Pourtant, le terme d’esclavagisme n’est pas trop fort, quand on constate que ces migrants sont fréquemment isolés, hébergés dans les locaux dans lesquels ils travaillent. Une pression maximale qui garantit aussi le silence dans la peur des représailles.
Affaires classées sans suite
Ces conditions ont été mises à nu quand en 2022, une perquisition dans le quartier du Raval de Barcelone a libéré ces victimes qui pour certaines d’entre elles dormaient sur un matelas, la nuit, directement dans les rayons du supermarché. D’autres étaient reléguées dans un sous-sol rempli de moisissure et sans la moindre aération. Encore en février dernier, l’opération « Iluro » a permis l’arrestation de six personnes dans seize magasins à Barcelone et Gérone, révélant au passage quatorze cas d’exploitation. Dans ces deux affaires, les passeports des victimes avaient été confisqués par leurs bourreaux. Un procédé identique à celui des femmes migrantes obligées de se prostituer dans les maisons closes plus ou moins légales de Barcelone.
Cependant, les cadres mafieux, qui agissent en bande organisée dans des dizaines de supérettes, n’ont pas été inquiétés par la justice. Comme dans toute histoire face à des parrains, les victimes et les témoins disparaissent dans la nature durant l’instruction et rendent ainsi impossible tout procès, l’affaire finissant classée sans suite. Dans ces cas-là, les « gérants » s’en tirent avec une simple amende administrative pour travail au noir ou pour des manquements en termes d’hygiène. Sanctions dérisoires au vu des bénéfices générés par ces trafiquants. Quand ils ne sont pas insolvables. En effet, la plupart du temps, les mafieux protègent leur patrimoine dans leur pays d’origine, le Pakistan, et ne possèdent quasiment rien en Espagne.