Le lundi, c’est permis : Equinox laisse tribune libre à un expert de son domaine ou à un membre de la rédaction. Aujourd’hui, c’est Aurélie Chamerois, cofondatrice d’Equinox, qui se prête à l’exercice.
Compagnies aériennes low-cost, globalisation, essor d’Internet et ses sources infinies d’information : en 30 ans, le monde est devenu plus petit, plus accessible, aucune partie du globe ne semble désormais impossible à atteindre. Et c’est tant mieux : « il faut voyager pour apprendre », disait Mark Twain.
Et plus encore que les voyages, les expatriations nous font grandir et challengent nos certitudes. Ma première expatriation m’a menée aux Etats-Unis. Un an dans une famille d’accueil et dans un lycée d’Arkansas, en pleine adolescence. Une claque. L’immersion dans la culture locale fut aussi totale que la déconnexion avec mes proches, ma langue et mon pays : le siècle s’achevait et Internet était encore réservé aux seuls geeks. La France vivait une Coupe du Monde historique et je n’en ai entendu parler qu’à mon retour. Chaque jour bousculait ma vision du monde et de la vie, m’ouvrait des horizons et des modes de pensée radicalement différents. Je ne parlais jamais ma langue, n’avais accès à aucune information de mon pays, sauf à travers les lettres de mes proches. L’expérience fut intense et l’intégration rapide.
Mais à l’ère d’Internet, des messageries instantanées et des réseaux sociaux, l’expatriation est-elle toujours une immersion ? À Barcelone, le tournant a sans doute eu lieu durant la pandémie. Des millions de personnes ont alors remis en question leur mode de vie. Des milliers de Français ont décidé de mener une vie avec plus de sens et moins de sacrifices. Le télétravail a accéléré la mobilité. Beaucoup ont alors voulu quitter la France pour une destination plus agréable et plus ensoleillée. Le choix fut davantage de « partir de » que de « partir vers ». Ces nouveaux arrivants, nomades par essence et citoyens du monde, se savent de passage et ont choisi Barcelone pour ses multiples atouts. Pas forcément pour sa culture, son histoire, sa littérature, ni pour les langues locales. Pour ces voyageurs, l’expérience ne sera peut-être jamais une claque culturelle et personnelle.
Lire aussi : Y a-t-il trop d’expatriés à Barcelone ?
Car en 2024, l’expatriation à Barcelone ressemble plus à une escapade qu’à un véritable dépaysement. On peut y vivre en français, voire en anglais, et créer son propre écosystème, sans jamais en découvrir l’essence. Dans une ville où un habitant sur quatre est étranger et où le caractère catalan peut parfois dérouter, il faut fournir de vrais efforts pour s’intégrer et gratter derrière le vernis de la capitale de la fête. Un effort qui porte toutefois ses fruits pour l’épanouissment personnel mais aussi pour le vivre-ensemble barcelonais. Alors que de plus en plus de Catalans sentent que leur culture et leur langue leur échappent face à l’afflux d’expats européens peu désireux de faire société, il devient nécessaire de faire preuve de respect et d’intérêt pour la ville qui nous accueille. Et de prouver que, même avec notre accent français, nous pouvons participer à la vie collective et « fer ciutat ».