Depuis quelques mois, des expatriés francophones se rassemblent deux mercredis par mois au bar Pastis, dans le Raval, pour partager leurs compositions personnelles ou entonner des reprises de classiques de la chanson française. Reportage.
C’est l’histoire d’un petit bout de France en plein coeur de Barcelone, dans un bar adéquatement nommé « le Pastis ». Bouteilles de pastis alignées sur le mur, lumière tamisée, un faux panneau « place Edith Piaf » et des musiciens français qui chantent dans la langue de Molière, voilà la scène inattendue que l’on découvre en poussant la porte de ce minuscule troquet, à deux pas de la station Drassanes.
C’est Frédéric, ancien réalisateur de documentaires, Normand d’origine, Parisien d’adoption et depuis 4 ans Barcelonais de coeur, qui a eu l’idée de monter « La Bohême », une jam pour les musiciens français de la capitale catalane. Une idée qui a germé lorsque celui qui a vendu tous ses biens en France pour vivre sur un bateau à Barcelone – désormais aussi son activité professionnelle – a décidé suivre son rêve : écrire des chansons. Mais lorsqu’il se produit sur scène, celui qui aime « la chanson française traditionnelle où l’on chante des poèmes », se rend à l’évidence. Dans les bars de Barcelone « les gens applaudissaient poliment, mais je fais des chansons à textes, et les non-francophones ne comprennent pas ». Il cherche alors une scène ouverte française, n’en trouve pas, et décide d’en créer une : on n’est jamais mieux servi que par soi-même.
À partir de 20h, les musiciens arrivent par grappes, « Salut Guy ! Salut David ! », lance Frédéric gaiement. Habitués ou nouveaux, pas de place ici pour la froideur. On se claque la bise et on parle musique. La première soirée, en février 2024, avait eu lieu dans un autre bar, plus grand. Sur les 50 intéressés du groupe Facebook, seulement 3 s’étaient présentés, raconte Frédéric amusé, « alors on est venus ici en se disant que c’est tellement petit que même peu nombreux ce serait moins visible ». Parmi les premiers participants, Alexandre et Marie, jeunes parents originaires de Clermont-Ferrand, qui avaient repéré l’événement sur Facebook avant même d’arriver dans la cité catalane.
Tous les deux forment le duo « Radio désir ». « On vient quasiment à chaque fois. On prend une nounou pour notre enfant et on chante ici », raconte Alexandre, aussi guitariste. Le jeune couple est bien connu des autres musiciens, un public d’âges et de professions variées. En tendant l’oreille dans le minuscule bar, les discussions en français vont bon train, mais se glisse quelques fois un accent d’un autre pays, car la soirée est ouverte « aux francophones et francophiles », aime à rappeler Frédéric.
C’est le cas de Matthew, un Texan venu chanter Brassens et un titre de Dutronc, « Les rois de la réforme ». Il prévient « je confonds le début de la chanson avec Calvin, Luther… ». Le public l’aide immédiatement. C’est la bienveillance qui règne ici, et la majorité s’accorde à le dire « même pour des Français c’est difficile, Dutronc et Brassens ».
Des rencontres musicales
Après Matthew, on applaudit aussi Guy, nouveau venu, qui chante des compositions personnelles, David qui s’essaye à la « Salsa du démon » sans vraiment de succès mais beaucoup de rires et Frédéric, qui s’accorde 10 minutes de pause dans sa soirée d’organisateur pour interpréter deux chansons qu’il a écrites.
Car le cinquantenaire ne chôme pas. Avant les événements, il administre un groupe Whatsapp pour prévoir qui viendra chanter. « J’ai un peu laissé tomber le concept de scène ouverte. Ici, les bars de musique live ont trop de restrictions donc il faut encadrer. On ne peut pas jouer avec l’ampli après 22h, l’amende est de minimum 1500 euros donc on fait attention », explique-t-il. Pendant la soirée, il agit en chef d’orchestre, exhortant les timides à oser y aller et calmant ceux qui squatteraient un peu trop longtemps le micro.
Pour lui, la vraie richesse de ces soirées, c’est « les rencontres musicales », et nous n’avons pas à beaucoup patienter pour en voir un exemple flagrant. Virginie, grande brune vêtue d’un trench beige aux airs Parisiens est venue chanter « Le Métèque » de Brassens. En arrivant, elle dit pouvoir chanter sa chanson à capella, mais préférerait avoir un guitariste à ses côtés. Elle n’attend pas longtemps. Axel, un Allemand d’environ 70 ans, cheveux blancs et l’air mystique se propose de l’accompagner à la guitare.
Virginie est rassurée et confesse en riant : « avant les bières je ne veux jamais rien chanter et puis après… ». Le Pastis reste, en effet, un bar. Et l’alcool, autant que la bienveillance générale, délie les langues de ceux qui se retrouvent entre copains, applaudissent les connaissances qui jouent et se racontent leurs drôles de vies d’expatriés, qu’ils soient arrivés il y a 10 ans ou 4 mois, prodiguant conseils ou avertissements.
Le Pastis est d’ailleurs un nom de bar tout trouvé pour cette bouillonnante scène française. Les gérants sont-ils, eux aussi, des expatriés ? « No hablo francès », corrige tout de suite Charly, la cinquantaine, gérant du bar depuis 4 ans. L’Argentin nous explique que ce bar existe depuis 76 ans, fondé par des Espagnols qui avaient fui en France pendant la guerre civile, et en étaient revenus avec l’amour de l’alcool anisé et de la patrie de Piaf. Autant dire que le Pastis et « la Bohême » se sont bien trouvés.