Nommé à la tête de la Filmoteca en juillet, Pablo La Parra Pérez veut faire de l’institution un endroit de sauvegarde du patrimoine catalan, tout en restant ouvert à la modernité et à l’international. Rencontre.
Photo de couverture : Filmoteca
Il succède après 14 ans de direction à Esteve Riambau, administrateur historique de l’institut cinématographique. À 37 ans, le natif de Gandía (communauté valencienne) Pablo La Parra Pérez a signé en juillet ses retrouvailles avec Barcelone, ville dans laquelle il a étudié dans sa jeunesse.
Par la suite, celui qui a consacré sa thèse au cinéma militant a fini son cursus à New York puis a enseigné dans le Pays Basque pendant six ans, jusqu’à prendre, tout récemment, la tête de la Filmoteca. Situé dans le Raval, ce qui est un cinéma, mais aussi une bibliothèque, un fonds d’archives et un espace d’exposition a réuni cet été 23 000 spectateurs, et Pablo La Parra compte bien renforcer cette affluence.
De la programmation 2025, il ne nous dira rien sauf qu’elle comportera (encore) beaucoup de films français. Et quand on lui demande pourquoi tant d’interêt pour nos cinéastes, il s’exclame avec un grand éclat de rire : « parce que vous avez inventé le cinéma, quand même ! ». Ce n’est pas faux.
Vous êtes né à Valence, vous avez fait vos études à Barcelone, un tour à New York puis avez passé 6 ans dans le Pays Basque. Revenir vivre à Barcelone, quelles émotions cela vous procure ?
Je suis très heureux. Non seulement Barcelone est une ville que j’aime et dans laquelle je me sens chez moi, mais c’est aussi la ville de la Filmoteca, une institution avec laquelle j’entretiens une relation très intime. D’abord comme spectateur, puisque je venais quand j’étais jeune, puis comme chercheur. La majorité des livres dont j’avais besoin se trouvait ici, donc je venais tout le temps.
Vous avez une expérience internationale. Dans quelle mesure cela vous aide à mener à bien votre projet ici ?
C’est assez paradoxal. Mon expérience internationale m’aide à comprendre l’importance de sauvegarder le patrimoine cinématographique catalan. J’aimerais que la Filmoteca continue deux choses qui ont l’air antithétiques mais qui ne le sont pas : être l’institution qui protège, finance et développe le patrimoine catalan, mais sans perdre de vue la dimension internationale. Ce n’est pas contradictoire. Le cinéma a toujours été un art international, qui ne connaît pas de limites. Il voyage, il transgresse les langues et les frontières.
Cette transgression résonne avec un mot que vous utilisez beaucoup dans vos prises de parole, celui de la “flexibilité”.
Oui, c’est quelque chose qui me préoccupe. Les établissements d’archives comme la Filmoteca sont souvent perçus comme étant des endroits fermés et on croit qu’ils ne s’occupent que de vieux films. Ce n’est pas le cas. Notre programmation est flexible, et elle peut intéresser le cinéphile fan de cinéma patrimonial mais aussi celui qui aime les films plus modernes. Le plus important ici, c’est qu’une archive peut être très ancienne, mais nous l’actualisons. Quand on veut regarder un film aujourd’hui, on se fiche de savoir s’il a été réalisé maintenant ou au début du 20e siècle : avec notre regard contemporain, on lui pose les questions du présent.
Il y a un exemple très clair, qui est celui des luttes féministes. Elles nous sont enseignées aujourd’hui sous un jour différent, on ne peut pas regarder les films sur ces sujets avec le même regard qu’avant. Les films sont les mêmes, bien sûr, mais notre regard sur eux a changé. Ce qu’on montre du passé, c’est toujours contemporain, ça se passe toujours maintenant.
Cet été et en septembre la Filmoteca a accueilli des cycles sur des femmes cinéastes françaises très engagées, notamment celui sur Agnès Varda. C’était votre choix de commencer votre mandat avec ces thèmes ?
Non, ce sont des thèmes qui ont été décidés par mon prédécesseur, mais je m’y identifie. Ces cycles connectent avec beaucoup de questions contemporaines. Dans le cas d’Agnès Varda, qui a été fait en collaboration avec le CCCB, ça a été le cycle le plus vu de tout l’été, il y a eu plus de 140 personnes par séance. Varda est très contemporaine, d’ailleurs, et c’est une cinéaste beaucoup plus populaire maintenant qu’à son époque.
Notre exposition “Precursoras” est aussi intéressante car elle raconte une généalogie de luttes qui résonne aujourd’hui en Europe avec la montée des courants néofascistes. C’est très important de revenir à ces généalogies en ce moment, de déconstruire ce que les droites appellent le courant “woke”. Ils le définissent comme une chose nouvelle, inventée, un caprice. Et quand on voit cette exposition on constate que cela fait des générations et des générations que des femmes, notamment, luttent en ce sens.
Photo : Marche des femmes à Hendaye, 5 de octubre 1975 © Nicole Fernández Ferrer, extrait de l’exposition « Precursoras » de la Filmoteca
On sait que des dizaines de projets sont en cours de conception puisque vous avez été élu pour 4 ans. Quels sont les projets que vous attendez le plus ?
Question difficile. Je crois, en revenant à la question de la flexibilité, que j’attends beaucoup de la Filmoteca dans la multiplication de ses collaborations. J’ai hâte que nos archives collaborent davantage avec d’autres filmothèques dans le monde, et que nos écrans puissent attirer une grande diversité de public, que nous nous ouvrions à la ville.
En parlant d’ouverture à la ville, la localisation de la Filmoteca, dans le Raval, est parfois un frein pour certaines personnes.
Oui, j’en suis conscient, c’est un sujet. Mais il faut venir dans le Raval, c’est un endroit formidable et la Filmoteca est très fière d’y être installée. Nous faisons partie de sa communauté, et on aime le tissu associatif, les voisins.. C’est un quartier qui a des problèmes, certes, mais c’est le cas de tous. Je crois que c’est très important de parler du Raval non pas comme d’un problème mais comme d’une richesse, et rompre avec une tradition médiatique de stigmatisation du quartier.
Cela fait un peu plus de deux mois que vous êtes en poste. Si vous deviez faire un bilan, en quelques mots ?
Le bilan, c’est que ça a été beaucoup plus intense que ce à quoi je m’attendais. On a eu un grand volume de programmation avec le cycle Varda, l’exposition… Beaucoup d’activités en été, et il y a eu l’élection d’un nouveau gouvernement catalan, ce qui a débloqué beaucoup de choses notamment au niveau des subventions et du travail administratif. Mais par-dessus tout, le bilan c’est que je suis très satisfait.
Une dernière question : vos trois films français préférés ?
Ah, je l’avais préparée celle-là. Je dirais « Sans soleil » de Chris Marker, « Nos défaites » de Jean-Gabriel Périot et « Les mains négatives » de Marguerite Duras.