Démissions en série, un phénomène espagnol

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Apparu aux Etats-Unis puis en Europe après la pandémie, le phénomène de « la grande démission » se tarit un peu partout… sauf en Espagne. Explications.

Le début de l’année 2024 a battu un nouveau record de démissions dans la péninsule ibérique. Plus d’1,38 million de personnes ont présenté leur baja voluntaria entre janvier et juin, la plupart en quittant un CDI. « La grande démission n’a pas de plafond de verre en Espagne », s’inquiète l’entreprise de ressources humaines Cobee dans un communiqué.

Le début de ce phénomène mondial remonte à 2020, juste après la pandémie qui avait paralysé la planète et remis en question nos modes de vie. Oser changer de travail, voire de vie, trouver du sens, sortir de sa zone de confort, des millions de salariés à travers le monde ont décidé de tourner une page de leur vie pour tenter de la vivre plus pleinement. Mais si l’on pensait ce phénomène temporaire, il perdure en particulier chez les plus jeunes et en particulier en Espagne. Les démissions sont encore 40% plus fréquentes qu’avant le Covid-19.

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Pour le coach Julien Fortuit, Français basé à Madrid, la principale raison des départs se situe dans le management. « Il y a peu de bons managers, ils doivent être à la fois des modèles, inspirer et apporter une vision, ceux qui partent ne sont pas inspirés par leur manager voire en sont dégoûtés ». Alors que les générations précédentes prenaient leur mal en patience, les jeunes n’acceptent plus les mêmes choses.

« Ils savent très bien ce qu’ils ne veulent pas… sans toujours savoir ce qu’ils veulent vraiment ». Et recherchent dans leur travail un impact conforme à leurs valeurs. « Si l’employé ne se sent pas à l’aise avec ces valeurs, il partira beaucoup plus tôt », confirme Pablo Gutiérrez, professeur en gestion d’équipe à l’école de commerce IESE et ancien directeur des ventes chez Orange Espagne. Pour lui, trois raisons principales poussent à la démission : le manque de respect ou de reconnaissance, le manque de formation et un salaire qui n’est pas jugé équitable. Les premiers mois sont particulièrement cruciaux, et le nouveau salarié doit recevoir « un bon soutien et une bonne formation » selon l’universitaire.

Un contexte culturel

L’Espagne est-elle donc une mauvaise élève en matière de management ? Pas plus que ses voisins selon les experts qui évoquent plutôt un marché du travail en forte inadéquation avec ses talents. Un tiers des employés diplômés occupent un emploi inférieur à leurs qualifications, un record européen. De nombreux salariés dans la restauration, la construction ou les services abandonnent les emplois les plus précaires lorsqu’ils trouvent un poste à leur mesure, d’autant que les offres augmentent à un rythme jamais atteint depuis 2010.

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Mais les transferts se font aussi entre des postes de même niveau, voire vers des salaires inférieurs. Julien Fortuit explique, lui, le record de démissions ibériques en grande partie par son contexte culturel. Les Espagnols quittent le foyer familial à 30 ans en moyenne, c’est l’un des âges les plus tardifs de l’Union européenne. Une soupape qui permet de démissionner sans trop de risques. « Le jeune se sent protégé, il ne va pas se retrouver à la rue, il aura toujours de quoi manger et il pourra même continuer à aller faire la fête au pueblo ».

La génération Z est enfin la première génération pour laquelle la guerre et le franquisme n’appartiennent qu’aux livres d’histoire. Et dans un cycle inverse à celui de leurs parents, dans une rébellion générationnelle naturelle, ils osent. Changer de travail, même sans plan B, parcourir le monde et même monter une entreprise, les possibilités se sont multipliées dans un monde toujours plus globalisé où l’audace est érigée en valeur. Le phénomène de butinage professionnel pourrait donc devenir la norme.

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