Lorsque l’on vient vivre à Barcelone, on laisse derrière soi une nation, une famille, des amis. Est-on pour autant un « lâcheur » ? Témoignages de ceux qui ont fait le choix de tout quitter.
« Je te reste infidèle », chantait dans sa lettre à France en 1977 Michel Polnareff, alors exilé en Californie pour échapper à la justice française. Son expatriation forcée, Polnareff la vit très mal et il semblerait que l’artiste se sente coupable d’une espèce de trahison. Vivre loin de ses amis, de sa famille, de sa terre natale, est-elle en soi une « trahison » pour les Français de Barcelone ?
« Partir n’est pas trahir » corrige Gautier Gerez, psychothérapeute français installé depuis peu dans la capitale catalane. « On ne trahit que lorsque l’on déserte l’armée », ajoute Philippe Saman, septuagénaire qui vit paisiblement à Barcelone depuis les années 1980.
« Ça dépend si l’on joue collectif ou non, les individualistes ressentiront moins de choses » réfléchit à voix haute Gautier, qui a quitté récemment le sud-ouest de la France. « Quand on pense au collectif, on l’imagine au stade de la nation, mais le collectif peut très bien se dessiner sur une échelle mondiale » ajoute le professionnel de la santé mentale. On peut d’ailleurs défendre des « valeurs très humanistes, sans être attaché à sa terre natale, on devient alors un citoyen du monde » précise-t-il.
C’est ce le choix qu’a fait Bertrand Jannon, cadre commercial dans l’industrie pharmaceutique. Si ce quadragénaire est né en Franche-Comté, aujourd’hui, dans son cœur, il ne possède plus la nationalité française. En bon commercial, il a fait ses calculs : ses années vécues en Allemagne et à Barcelone sont désormais supérieures à celles passées sur le territoire national.
Installé avec son épouse catalane sur les hauteurs de la ville, son fils et sa fille parlent couramment français, catalan, espagnol, anglais et allemand. Son attachement ne passe pas par un pays, mais par des valeurs auxquelles Bertrand croit ainsi que par la vie au sein de son entreprise.
« Impossible de se faire qualifier de traître quand on paie des impôts à la France »
Autre génération, mais même attachement à la valeur travail. « Lorsque l’on est rigoureux dans son emploi, il est possible que l’on puisse apporter sa pierre à l’édifice du rayonnement international », témoigne le directeur historique de la Chambre de commerce Française à Barcelone aujourd’hui à la retraite, Philippe Saman. Le Barcelonais d’adoption argue que la mission d’un expat peut aussi être de faire briller la France à l’étranger. « Et de toute façon, impossible de se faire qualifier de traître quand on paie des impôts à la France de manière directe et indirecte » balaie d’un revers de la main le Parisien d’origine.
Pourtant, pour les expats, il peut être frustrant « de ne pas pouvoir participer activement au débat national, devant la quantité de bêtises, de réflexions ou de non-réflexions qui se diffusent chaque jour dans la société » explique Philippe Saman. Surtout quand celle-ci s’enflamme dans les thématiques politiques comme c’est le cas depuis le mois de juin en France. « Du point de vue des expatriés, c’est très bizarre : on est à la fois loin et près de ces conflits », nous racontait dans un article précédent Marion, 31 ans, à Barcelone depuis 2 ans. Depuis l’Espagne, la seule manière de suivre la vie du pays passe par les médias et les réseaux. C’est donc à travers un écran que la plupart des expatriés vivent ce grand chambardement, et constate, impuissant, sa qualité de seul spectateur.
Enfin, une victime collatérale de l’expatriation peut être l’ami ou le parent du voyageur. « Il y a encore la dimension psychologique de la frontière » analyse la psychothérapeute française Agathe Fourgnaud. « Les proches de ceux qui partent ont des réactions confuses. Ils se réjouissent pour eux, tout en étant tristes de les voir s’éloigner », raconte-t-elle. Il faudra donc un travail de pédagogie et de communication pas forcément évident pour toutes les familles pour éviter de se voir coller l’étiquette de la traîtrise.
Ou alors, pour mettre tout le monde d’accord, il faudrait que la famille suive le membre expatrié à Barcelone. Mais pas sûr que ça plaise à chacun.