La pénurie de logements à Barcelone a des conséquences inattendues : la multiplication des abus de la part des agences immobilières. Les locataires se retrouvent souvent face à des pratiques douteuses, voire illégales, pour lesquelles il est parfois difficile de trouver réparation sans recourir à un avocat.
Photo de couverture : Equinox
David et Selena (noms d’emprunt) sont un jeune couple d’expatriés à Barcelone. Après avoir loué pendant un an un appartement près de l’Arc de Triomf, ils ont décidé d’interrompre leur location après avoir trouvé un meilleur logis dans le quartier de Sant Antoni. Ils ont donc informé l’agence immobilière de leur premier appartement qu’ils quitteraient celui-ci, et ont réalisé toutes les démarches nécessaires. Sauf que plusieurs mois après leur déménagement, ils n’ont toujours pas reçu la caution qu’ils avaient déposée pour le premier appartement – qu’ils ont rendu dans le même état qu’à leur entrée, précisent-ils, tandis que l’agence n’avait pas réalisé d’état des lieux à leur entrée.
Les mois passent, et toujours pas de « fianza » en vue. David et Selena contactent alors directement le propriétaire de l’appartement… qui apprend à ce moment-là qu’ils ne sont plus ses locataires. L’agence ne l’avait ainsi pas informé et a semblé préférer garder leur caution dans sa poche. Le jeune couple a donc pris un avocat, et au bout de longs mois de stress et d’un procès au tribunal, ils ont finalement récupéré leur dû. Avec une petite surprise, en bonus : sur les documents de l’agence présentés au tribunal, ils se sont rendu compte que celle-ci avait imité leur signature sur un papier à destination d’Hacienda, concernant le montant du loyer. Dans le but de frauder les impôts.
Des relations locataires-propriétaires davantage polarisées
Le cas de David et Selena n’est pas isolé. Sur les groupes Facebook de locataires à Barcelone, des histoires similaires concernant des abus d’agences immobilières pullulent. Ces fraudes auraient-elles augmenté ces dernières années ?
« En ce qui concerne les cautions, il y a toujours eu cette situation abusive de retenir tout ou partie des cautions ou des garanties supplémentaires qui sont demandées », nous explique Josep Maria Espinet, avocat spécialisé dans le droit immobilier à Barcelone. « Le ressenti des clients, la sensation est que cela empire, mais c’est une impression. En parallèle, je dirais que les propriétaires, avec les règles, les plafonds des loyers et les limitations qui sont mises en place ici en Catalogne et en Espagne en général, mais surtout avec la loi sur le logement, se sentent de plus en plus maltraités. Et ce mal-être se traduit ensuite par une certaine condescendance ou irritation envers les locataires. Disons que les relations avec les locataires sont devenues plus polarisées, tout est plus blanc ou noir. »
En cause : l’offre bien trop insuffisante pour la demande massive sur le marché de la location à Barcelone, ce qui génère beaucoup de tensions et d’insécurité au moment de réaliser un contrat de location. D’où, parfois, des conditions un peu folles demandées aux locataires, comme des cautions exorbitantes, et des abus difficiles à prouver en tant que tels.
« Il y a des clauses qui, en elles-mêmes, sont abusives, comme interdire la présence d’animaux lors de la signature du contrat, ou bien limiter l’occupation à trois, deux, ou quatre personnes. Ou exiger que des assurances soient souscrites auprès de certaines compagnies spécifiques », exemplifie Josep Maria Espinet.
Le marché locatif est particulièrement tendu à Barcelone, et cetaines agences immobilières en profitent. (Equinox)
Un manque d’encadrement des agences immobilières
Selon l’avocat, ces abus proviennent aussi du fait que beaucoup d’agences immobilières agissent sans aucune compétence. « Les agences immobilières en Espagne ont très mauvaise réputation, ne sont pas bien formées, elles disent une chose et en font une autre », indique-t-il. « Elles ne montrent pas les biens comme il faut, ce n’est parfois l’affaire que de dix minutes, et de nuit ou en soirée. Cette profession n’est pas bien réglementée ni encadrée », affirme Josep Maria Espinet.
Comme la loi ne leur impose pas d’avoir une formation, les agences se contentent de faire du commerce, de vendre ou de louer des biens, et de toucher une commission, explique-t-il. Même ceux qui géraient auparavant une boutique de chaussures ou une quincaillerie peuvent désormais exercer dans l’immobilier, car ils constatent que ce domaine permet de « réaliser une marge beaucoup plus élevée, à condition de parfois tromper quelqu’un. »
L’avocat plaide donc pour que l’on exige des agences immobilières un diplôme spécifique, en lien avec l’immobilier, et des examens d’entrée plus rigoureux. « Il n’est pas normal qu’aujourd’hui, pratiquement n’importe qui sans études puisse devenir agent immobilier. Le niveau de préparation des agences immobilières est très, très bas. C’est un niveau technique et de préparation très basique », conclut-il.