[REPORTAGE] À Salou, la fête est finie

Depuis quelques années, Salou est rongée par un mal moderne : le tourisme de beuverie. Jeunes, voire très jeunes Européens – souvent Anglais et Français – se retrouvent en groupes dans cette station balnéaire bon marché avec comme objectif de faire la fête, et de boire à outrance. Pourtant, depuis peu, la population estivale de la ville a changé, et doucement les cris des bébés on remplacé ceux des fêtards. Reportage sur une ville en quête de rédemption.

Photo de couverture : Ivan Barrera

À plus d’1h30 de voiture au sud de Barcelone se trouve la ville de Salou, ancien village de pêcheurs qui a évolué comme la plupart des villes voisines en station balnéaire hyper touristique. Avec une spécificité : on y fait la fête à outrance. En France, la ville est particulièrement connue parmi les nouveaux bacheliers comme le lieu de villégiature des premières vacances, des premières soirées, et des premiers maux de crâne liés à l’alcool.

Il est 20h, ce jeudi soir de fin de juillet dans la capitale de la Costa Daurada, et on a beau chercher, ce n’est pas vraiment la débauche dont on nous avait parlé. Oui, Anglais et Français sont en masse, mais ce sont plutôt des familles. De jeunes parents qui emmènent leurs enfants à la découverte d’une ville qui n’est plus le point de rassemblement des fêtards. « J’ai cherché ville tranquille en Espagne sur Google, et on s’est retrouvé ici », nous raconte Hafsa, venue avec son mari et ses deux filles de 5 et 10 ans. Originaire de Liège, la petite famille n’avait jamais eu vent de la réputation sulfureuse de la ville, et se dit pour l’instant satisfaite.

Il faut dire que la ville offre de nombreuses activités pour les enfants, comme des toboggans flottants, des pédalos, des parcs à jeux et, pour les plus âgés, la proximité du parc d’attractions Port Aventura. C’est sans doute en partie pour ces raisons, et pour ses prix très bas, que la ville a connu en 2023 un pic d’attractivité jamais vu auparavant. Plus de deux millions de personnes ont choisi d’y passer leurs vacances au cours de l’année, soit une augmentation de 5,7 % par rapport à 2022.

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Photo : Ivan Barrera

Non loin de la famille belge, devant la grande fontaine de la Rambla, trois enfants posent tout sourire avec leurs peluches, pour le plus grand plaisir de leurs mamans. Charlotte et Adeline, deux amies originaires de Bourges, étaient bien au courant du cliché festif de Salou, mais ont quand même décidé d’y emmener Thiago, 7 ans, Raphaël, 5 ans, et Anna, 4 ans, qui semblent tous ravis d’être ici. Pour Adeline, il est clair que Salou est aussi une destination prisée par les jeunes : « une fois on est restées un peu plus tard en ville et là on a vu la différence, mais c’est surtout le week-end, la semaine tout va bien. Salou a clairement deux visages ».

« C’est à cause de la police et du Covid »

La quasi-absence de jeunes ce jeudi serait donc du simple fait du jour de la semaine ? Pas vraiment, nous raconte Hicham, 28 ans, Marocain et habitant de la région depuis 13 ans. Le serveur et « homme à tout faire »  du bar-restaurant Lunattic, comme il se décrit lui-même, voit une claire différence avec les années passées. « Peut-être que c’est à cause des Jeux Olympiques ou de la coupe d’Europe, mais il y a vraiment beaucoup moins de jeunes, après 3h du matin, même le week-end, il n’y a personne », témoigne ce grand brun sympathique. Plus loin, un autre serveur/rabatteur – qui ne voudra pas nous donner son nom – explique clairement : « c’est à cause de la police et du Covid ».

En l’espace d’une heure, une brigade de cinq hommes en bleu et leur chien ont en effet arrêté une dizaine de jeunes. Tous avaient en commun le fait de posséder une sacoche. Que cherchent ces policiers, et pourquoi autant de contrôle, on n’en saura pas plus : « il avait l’air suspect, c’est tout », nous répondra un des agents. Est-cette présence massive des forces de l’ordre qui a fait fuir les jeunes Européens en quête de défonce, souvent en possession de drogues ou en état d’ébriété ?

Interrogée, la mairie se défend d’une chasse à l’homme : « En période de haute saison, la présence policière augmente et, par conséquent, devient plus visible. En effet, les patrouilles mixtes – Police Locale de Salou et Mossos d’Esquadra (responsables de la Sécurité Citoyenne) – gèrent leur présence dans les endroits où elle est la plus nécessaire. Il n’existe aucune stratégie pour faire fuir les touristes ». 

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Photo : Ivan Barrera

Force est de constater, pourtant, qu’à 21h passées la Carrer Bilbao – une des rues les plus animées de Salou – fait peine à voir. Quelques familles finissent de dîner, les enfants aux cheveux encore trempés par la mer. L’ambiance au coucher du soleil est celle d’une station balnéaire paisible, et on ne pourrait pas deviner son passé festif, si ce n’était par la décoration desdits bars, néons criards et promotions sur l’alcool affichées en devanture.

Une transition opérée en douceur

Ce contraste entre les familles attablées et les bars encore conçus pour séduire les amateurs de soirées arrosées est le signe d’une transition qui est encore en cours d’opération, qui est passé par plusieurs étapes. Il y eut d’abord, en 2016, la fermeture définitive du Saloufest, un événement qui attirait en moyenne 10 000 jeunes touristes britanniques, venus là sous prétexte de faire du sport et de s’enivrer. Une fermeture purement marketing liée á l’image désastreuse que cet évenement renvoyait de la ville, et alors même qu’il rapportait un montant estimé à 5 000 000 d’euros.

Ensuite, la crise du Covid et l’interdiction de regroupements a de toute évidence impacté la fréquentation festive. Plus récemment, en 2023, la ville a été secouée par des drames liés au crime organisé, ce qui – peu importe ce qu’en dit la mairie – a conduit à un renforcement des contrôles de police et donc à un éloignement d’un certain type de public.

Ces circonstances conjuguées ont porté leur fruit : Salou est passée en quelques années de l’épicentre d’une fête incontrôlée à une station balnéaire apaisée. Une dynamique que compte préserver le maire Pere Granados, qui injecte, en 2024 et avec le concours de l’UE un million d’euros pour la rénovation de l’éclairage dans les zones touristiques importantes de la ville, participant ainsi à l’amélioration de l’espace public, le rendant plus sûr pour les parents et leurs enfants.


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