La « tourismophobie » est devenu le mot à la mode pour parler du rapport de Barcelone à ses vacanciers, et voilà que la ministre régionale Valencienne, en charge du tourisme, l’assimile – à tort – à une forme de xénophobie. Analyse d’un terme galvaudé.
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« La tourismophobie m’inquiète, c’est un phénomène inventé, un discours pervers à connotation raciste », déclarait le 19 juillet à nos confrères de La Vanguardia Nuria Montes, ministre en charge du tourisme au sein du gouvernement régional Valencien.
Alors qu’à Barcelone la haine anti-touristes est montée d’un cran depuis la manifestation du 6 juillet dernier, durant laquelle 3 000 personnes représentant plus de 140 organisations ont aspergé d’eau des vacanciers, on se demande à quel point l’affirmation de la Valencienne peut s’appliquer en Catalogne. Pour Patrice Ballester, chercheur en géographie et marketing du tourisme et spécialiste de Barcelone, qui s’estime « très contrarié par tous ces termes », l’heure est à la nuance.
Territoire historiquement indépendantiste, la Catalogne pourrait, en effet, passer pour une zone, pas raciste, mais du moins xénophobe, repliée sur soi. C’est sans prendre en compte son passé, nous raconte le professeur. Les Jeux Olympiques de Barcelone de 1992 avaient un objectif clair : redorer l’image de la ville et attirer le tourisme, autrement dit s’ouvrir sur le monde. Depuis 32 ans, c’est mission réussie.
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Et si aujourd’hui le terme de tourismophobie est autant utilisé (étymologiquement « peur ou angoisse du tourisme ») c’est tout simplement car 2024 « sonne la fin d’un cycle », continue-t-il. Cette image de ville-monde construite en 1992 pour attirer des jeunes en recherche de fêtes débridées lui colle à la peau, mais n’est plus voulue. Exit le tourisme de masse et bienvenue au tourisme raisonné, ou « de qualité », comme le martèle le maire Jaume Collboni depuis quelques semaines.
Le rejet des vacanciers de la part des associations locales n’est ni xénophobe ni tourismophobe – il serait injuste d’utiliser ces termes quand 70% des Barcelonais sont favorables au tourisme – mais simplement le marqueur d’un ras-le-bol inévitable de la part de locaux qui s’agacent, non pas de tous les touristes, mais d’une partie minoritaire et irrespectueuse. Après plus de trente ans de tourisme exponentiel, il est temps – et normal – que la ville réfléchisse à un nouveau modèle.
« Le tourisme est devenu un argument politique »
Si elle se trompe quand elle parle de racisme, lorsque la ministre de Valence évoque un « phénomène inventé » concernant la tourismophobie, elle n’a pas totalement tort. Le terme tourismophobie, nous rappelle Patrice Ballester, n’est pas sorti de la bouche de Espagnols mais des médias.
En 2017, ce mot apparaissait pour la première fois dans la presse. El País qualifiait ainsi, dans un article, l’action menée par 4 individus encagoulés qui arrêtèrent un autocar de tourisme de Barcelone, crevèrent ses pneus et peignèrent sur son pare-brise le slogan « Le tourisme tue les quartiers ».
En 2024, loin de nommer seulement les groupuscules extrêmes, le mot « tourismophobie » est utilisé pour désigner le ressentiment partagé par l’ensemble des locaux. Peut-on appliquer un terme unique à un sentiment partagé par 1 600 000 habitants ? Sûrement pas, répond notre expert, qui dénonce une invention médiatique et politique : « le tourisme est devenu un argument politique depuis les années 2010, et ce pour le meilleur et pour le pire ».