À Barcelone, les musiciens indépendants travaillent plus pour gagner moins

Des musiciens de rue dans le centre ville en 2018 © Richard Hewat

Chaque année à Barcelone, les conditions d’obtention d’une licence pour jouer dans la rue se durcissent. 2024 n’a pas fait exception à la règle avec seulement vingt places attribuées contre les trente accordées en 2023, ce alors même que la mairie enregistre un taux record de demandes.

« Dans les années 90 et au début des années 2000, Barcelone était une fête. Il y avait de la musique à chaque coin de rue, des jam dans les bars… On était à des années lumières des affiches de la mairie qui demandent de respecter le sommeil des voisins » grince Pablo, batteur dans plusieurs formations musicales.

Dans le même temps, la pression des forces de l’ordre a augmenté avec près de 10% de plus d’instruments confisqués en 2023 par rapport à 2019, et la tendance est la même du côté des amendes distribuées à ceux qui jouent sans licence. Une pression aussi ressentie du côté des salles, désormais équipées de régulateurs de décibels directement connectés à la mairie. Si la limite est dépassée, un signalement est envoyé, suivi d’une verbalisation. Au bout de plusieurs avertissements, la mairie peut même demander la fermeture de la salle concernée.

« On sacrifie les fêtes dans les bars de quartiers au profit de gros évènements »

Pour Joan, guitariste professionnel qui a dû prendre un second emploi depuis le début de l’année, ce « flicage » est une catastrophe pour les musiciens indépendants : « les salles sont de plus en plus frileuses et s’inspirent d’un modèle à l’anglaise, où les groupes s’occupent de la promotion, amènent le matériel, paient pour la salle et invitent leurs amis qui consomment au bar ».

Et alors que seul un artiste catalan sur quatre est en mesure de gagner sa vie grâce à son art selon le dernier rapport de la Fondation Aisge, Joan s’insurge d’une sorte de « deux poids deux mesures » :  « on sacrifie les fêtes dans les bars de quartiers au profit de gros évènements comme le Primavera Sound Festival, bien plus bruyants et dérangeants que quelqu’un qui joue de la guitare dans la rue ».

Beaucoup pensent que cette répression s’inscrit en partie dans l’implémentation du nouveau Pla Endeça, qui vise à améliorer la propreté, la sécurité et le vivre ensemble dans les espaces publics, mais la mairie se défend d’une politique anti-musiciens. Elle affirme que le déploiement de 100 agents supplémentaires avait déjà été mis en place en amont de ce plan et pointe le fait que plus il y a de personnes dans les rues, plus il y a de sanctions.

La fin de la fête ?

Face à cette avalanche de points négatifs, Julien, expat québécois, batteur et chanteur, nuance : « le week-end dernier, c’était les fêtes du Raval. Il y avait de la musique vraiment partout, du rock au rap en passant par l’électro. Avec mon groupe on a joué à minuit et demi et la mairie nous a donné le droit de faire du bruit jusqu’à trois heures du matin. Un évènement comme ça, en plein centre-ville, à part peut-être pour la fête nationale, serait complètement impensable au Canada ».

En France aussi, où même le soir de la Fête de la musique les musiciens plient bagage dès minuit, et où seuls 3 ou 4 de toutes les lignes de métros annoncées fonctionnent, difficile de ne pas envier la fiesta à l’espagnole. Les horaires complètement décalés par rapport au reste de l’Europe (et du monde) et un talent certain pour la fête attirent ainsi chaque année des millions de visiteurs à Barcelone et en Espagne.

Victime de son succès, la cité comtale ? Si les régulations sont proportionnelles à l’augmentation de la population, on peut en effet s’interroger sur les méga festivals aux recettes juteuses organisés chaque été avec l’accord de la mairie. Rappelons aussi que 63% des professionnels du secteur des Arts Vivants en Catalogne vivent en-dessous du seuil de pauvreté.

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