L’Espagne est le pays européen où les moins de 35 ans sont les plus liés affectivement à leurs parents. Une caractéristique ibérique qui n’est pas sans conséquences.
Photos : Clémentine Laurent/Equinox
C’est sans doute l’un des plus grands chocs culturels entre la France et l’Espagne, et l’un des plus gros défis des couples binationaux : l’importance de la famille pour les Espagnols. « Mon mari appelle sa mère tous les jours et ils s’écrivent très souvent. C’est une relation très forte. Dans un contexte français, on pourrait le prendre comme une invasion, mais c’est culturel », nous confiait Astrid, trentenaire mariée à un Valencien dans un précédent article.
En Espagne, on quitte ses parents à 30 ans passés, alors que les Français volent de leurs propres ailes à 23 ans en moyenne. Pablo, la vingtaine, est né à Barcelone d’un père toulousain et d’une mère catalane. Étudiant en sciences politiques, il vit toujours au domicile familial et songe à profiter d’un master, dans deux ans, pour aller vivre seul du côté de Tarragone. « Mon père l’a bien pris, il m’a toujours laissé plus de liberté, il m’encourage à partir en Erasmus et a plus confiance en moi, ma mère l’a moins bien pris, mais bon, ce sera dans deux ans ! ».
Pour Pablo, le décalage culturel entre ses parents est aussi criant que celui qu’il observe avec ses proches vivant en France. « Il y a une proportion plus élevée de jeunes qui sont indépendants là-bas, comme mon cousin qui vit seul à Toulouse depuis qu’il a 19 ans ». Et si l’aspect financier entre en compte, il n’est pas, pour l’étudiant, le premier pilier de l’attachement familial : « on valorise beaucoup plus ici le sentiment d’être à la maison, avec la famille, de prendre des repas ensemble ».
Dépendance émotionnelle et financière
Selon une étude de l’Observatoire social de la Fondation La Caixa parue le mois dernier, près de 57% des Espagnols d’entre 18 et 34 ans se déclarent « extrêmement proches de leurs parents », le pourcentage le plus haut de l’Union européenne où la moyenne se situe à 38%. Un peu plus de 7 Espagnols sur 10 indiquent communiquer avec un de ses parents au moins une fois par jour.
Des chiffres qui peuvent attendrir, mais entraînent des conséquences sociales. Selon le chercheur Joan Miquel Verd, co-auteur de l’étude, la proximité familiale installe les jeunes dans un certain confort, mais développe aussi une dépendance émotionnelle exclusive envers les parents. Les Ibériques sont ainsi, contrairement aux apparences, ceux qui développent en Europe le moins de relations sociales en dehors de leur cercle familial, poussant une frange de la population vers un risque d’isolement.
La dépendance financière, intimement liée, présente également un danger pour les jeunes qui « se réfugient dans la famille comme source de soutien en l’absence de ressources institutionnalisées » selon le chercheur. Les bas salaires et le manque d’aides sociales condamnent les Espagnols à dépendre économiquement de leurs parents jusque très tard.
« Les parents de ces jeunes ont eu de meilleures conditions de vie, de meilleurs salaires, ils ont pu acheter un logement et ces jeunes ont été éduqués avec un bon niveau de vie, qu’ils ont du mal à retrouver pour eux-mêmes et c’est aussi pour ça qu’ils restent à la maison », nous explique la sociologue catalane Marina Subirats. Mais cette soupape, de nécessité ou de confort, ne tire pas la société espagnole vers le haut. Les entreprises ne sont pas poussées à augmenter les salaires des plus jeunes, qui peuvent vivre avec peu, et l’Etat ne met pas en place d’aides ou solutions de logement à bas prix. Le modèle familial espagnol, tant de fois loué, montre ainsi ses limites, empêchant les jeunes de voler de leurs propres ailes et surtout de trouver leur place dans une société qui persiste à les infantiliser.