Bien qu’elle soit indissociable de la Saint-Jean et du 23 juin, la coca est pourtant un gâteau aux origines païennes, qui remontent à bien avant le christianisme. Une tradition millénaire que la Catalogne conserve aujourd’hui.
Photo : Ajuntament de Barcelona
Sur les tables, dans les cuisines, dans les vitrines des pâtissiers… À l’approche de l’été, elles sont partout : les cocas de la verbena de Sant Joan. Les Catalans ont l’habitude d’acheter (ou de faire) cette sorte de gâteau-brioche et de le déguster entre amis ou en famille, le soir de la Saint-Jean le 23 juin (Sant Joan, en catalan) et également le soir de la Saint Pierre (Sant Pedro), le 28 juin. Comme beaucoup de traditions espagnoles, on pourrait penser qu’il s’agit là d’une coutume catholique héritée du Moyen-Âge. Et pourtant, la coca est bien plus ancienne… née des religions païennes.
“L’histoire raconte que c’était une sorte de gâteau avec des œufs durs, que l’on confectionnait pour adorer le Soleil, peut-être au temps des Romains”, relate Sergi de Meià, chef du restaurant éponyme à Barcelone. Car, on le sait, les Romains célébraient déjà le solstice d’été, bien avant la christianisation de la Péninsule ibérique. Pour célébrer le Soleil, lors de la journée la plus longue de l’année, on cuisinait alors des gâteaux ronds percés en leur centre, explique le Gremi des pâtissiers de Barcelone.
Soir de la Sant Joan, le 23 juin à Barcelone. Photo : Encomienda de Barcelona
Mais comment une tradition païenne a-t-elle pu traverser les âges jusqu’à nous, et résister malgré l’imposition du christianisme ? La réponse est la Saint-Jean. Pour “christianiser” les fêtes romaines du solstice d’été, les religieux imposent la célébration de la Saint-Jean le 23 juin, et celle de Saint Pierre le 28 juin. Mais même désormais chrétienne, la fête conserve ses coutumes, comme les feux de joie ou les cocas. Par ailleurs, leur nom serait directement hérité des Romains, car en latin “cocere” veut dire ‘cuire’.
Une symbolique mystique
La recette n’a pas beaucoup évolué, depuis les temps anciens. “On suit encore la tradition au pied de la lettre !”, affirme le chef, qui est aussi président de la Fondation de la cuisine catalane et de la culture gastronomique. “La base de la pâte est faite de farine, d’œufs et de fruits secs”, en soi une sorte de brioche. Bien qu’il ne soit plus rond, le gâteau conserve encore aujourd’hui une symbolique mystique liée au soleil : ses bords doivent être ronds et sa longueur doit mesurer le double de sa largeur, évoquant la journée la plus longue et la nuit la plus courte de l’année. D’ailleurs, les paysans pensaient qu’il fallait manger la coca à l’extérieur, car la déguster sous un toit pouvait attirer le mauvais sort.
Aujourd’hui, on l’achète en pâtisserie ou on la cuisine soi-même, mais à l’époque, les Catalans qui n’avaient pas forcément de four allaient porter leur pâte chez le boulanger qui se chargeait de cuire les cocas des habitants. On l’agrémente avec des fruits confits, comme des cerises, des morceaux d’orange ou de melon et des pignons de pin, un héritage du XIXème siècle, et aujourd’hui on utilise même de la crème, du massepain et parfois… des lardons. À l’époque, on associait la coca de Sant Joan à un vin doux, comme du moscatel, bien qu’aujourd’hui il est souvent remplacé par une petite coupe de cava.
Si la coca que l’on connaît aujourd’hui n’a pas changé (ou presque) depuis la fin du XIXème siècle, on trouve aujourd’hui des cocas un peu plus originales dans les pâtisseries, comme aux fruits ou à la vanille par exemple. Mais la tradition reste très fortement ancrée en Catalogne, et il est presque étrange de ne pas manger une seule coca durant la période de la Sant Joan. La preuve, rien qu’en 2020, plus de 900 000 cocas artisanales se sont vendues à Barcelone pour la célébration du 23 juin. Et la coca va bien plus loin que les frontières de la Catalogne actuelle : à Alicante, la coca existe aussi, mais cuisinée avec des légumes et du thon ; à Minorque, on l’appelle plutôt la coca “bamba”.
La coca catalane, une recette presque inchangée
Pour passer une vraie soirée de Sant Joan 100 % catalane, la coca est donc obligatoire. “Il faut acheter la coca dans une pâtisserie de qualité traditionnelle, ce sont sans aucun doute les meilleures. Elles doivent être fraîches, cuites le jour même”, insiste Sergi de Meià. Et cela tombe bien : la meilleure pâtisserie de Catalogne se trouve justement à Barcelone. C’est la pâtisserie Hoffman qui a reçu ce titre, établissement lié à l’école de pâtisserie de Barcelone et qui propose notamment des cocas de Sant Joan. Sinon, Equinox a aussi dressé la liste des boulangeries et pâtisseries françaises de Barcelone ici.
Pour les cordons bleus qui souhaiteraient réaliser leur propre coca, Sergi de Meià livre sa meilleure recette : 250 g de farine forte, 200 g de fruits confits (melon, orange, cerises…), 75 g de lait, 55 g de beurre mou, 55 g de sucre 25 g de pignons de pin, 20 g de levure fraîche, 2 œufs, un demi-verre d’anis, zestes de citron, sel et huile ou beurre.
Défaire la levure avec le lait légèrement chaud. Ajouter 3 cuillères de farine et la travailler jusqu’à obtenir une pâte bien lisse, et la laisser reposer jusqu’à ce qu’elle ait doublé de volume. Faire un petit volcan avec la farine restante et y déposer le beurre, les œufs, le sucre, le sel, le citron et l’anis. Travailler la pâte à la main ou à la fourchette, y ajouter la pâte préalablement préparée et fermentée et continuer à travailler le tout jusqu’à obtenir une pâte fine et compacte.
Étirer la pâte sur une plaque de cuisson beurrée ou huilée, avec une épaisseur d’environ 1 cm et une forme ovale. Peindre la pâte avec de l’œuf et la décorer avec les fruits confits coupés en morceaux, et laisser reposer le tout jusqu’à ce qu’il double de volume. Répartir des pignons par-dessus, du sucre et cuire au four à 180 degrés environ 20 minutes.
À déguster le soir du 23 juin avec un moscatel ou du cava, de préférence à l’extérieur pour s’attirer de la chance et suivre cette tradition millénaire à la lettre.
Merci au chef Sergi de Meià, du restaurant Sergi de Meià (carrer Laforja 83 à Barcelone, +34 930 01 79 66).
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