Sous l’effet du dynamisme des filiales à l’étranger, la part de marché élargie de la France (made by) dans le secteur des biens est supérieure à celle des exportations (made in). Explications.
Par Jean-Christophe Gessler, Université de Poitiers
Près de 100 milliards d’euros, tel est le déficit de la balance des biens de la France en 2023, le deuxième plus élevé de l’histoire après 2022 (plus de 160 milliards), un recul qui s’explique en partie par le reflux des prix de l’énergie. L’attention semble, avec pessimisme, se focaliser sur le solde des biens. Comme nous le suggérons dans une étude menée avec Daniel Mirza, enseignant-chercheur à l’Université de Tours, pour le think tank La Fabrique de l’Exportation, cela revient toutefois à faire preuve d’une certaine myopie.
A partir de différentes sources de données (Banque de France, OCDE, Cepii, OMC), l’étude englobe également les flux de services ainsi que les revenus primaires, qui forment avec la balance des biens le compte courant d’activité de la balance des paiements. Parmi ces revenus primaires, on retrouve notamment les bénéfices réalisés à l’étranger par les entreprises françaises et transférés vers la France. Les échanges sont par ailleurs non seulement abordés en valeur brute mais également en valeur ajoutée, afin d’identifier la valeur effectivement créée en France pour 100 € de vente à l’étranger.
Le rôle essentiel des services est mis en évidence, ainsi que celui des implantations à l’étranger pour servir les clients internationaux, le recours aux filiales étrangères constituant en effet une spécificité française. L’analyse selon ce nouveau prisme offre une tout autre lecture de la place de la France dans le commerce international.
Les services, un double avantage
Certes, les exportations de biens connaissent une évolution défavorable, avec une part de marché mondial en forte baisse passée de 6 % à 3 % entre 1995 et 2020. Cela s’explique notamment par la concurrence croissante des pays émergents. Bien que ce phénomène touche les principaux pays européens, c’est bien en France que le recul est le plus marqué : l’Allemagne et l’Espagne maintiennent leurs parts de marché, l’Italie limite son déclassement. Le tissu exportateur industriel français est par ailleurs de plus en plus concentré autour des grands groupes et d’un faible nombre de produits : les 50 biens les plus vendus réalisent à eux seuls 40 % de la valeur exportée.
Il ressort à l’inverse que la France connaît une réelle dynamique dans les services, ce qui esquisse une forme de spécialisation de sa base productive à l’instar de ce qu’a connu le Royaume-Uni. La valeur des échanges a été multipliée par 3 en 22 ans au point qu’ils représentent 34 % du total des exportations françaises en 2022.
Plus encore, si l’on mesure en valeur ajoutée, nous montrons que 100 euros de services exportés contiennent 86 euros de valeur créée en France, contre 68 euros pour les biens. Les services offrent donc un double avantage pour le pays en étant de plus en plus exportés tout en ayant un très fort contenu en valeur ajoutée française ; ils constituent au total 40 % de la valeur ajoutée exportée par la France.
Les ventes de services connaissent une baisse de part de marché plus faible que pour les biens, avec une stabilité sur le marché européen. Loin de se résumer au tourisme (20 % seulement des flux), cette dynamique repose avant tout sur les services aux entreprises. Et contrairement aux biens, les petites entreprises (50 salariés maximum) jouent ici un rôle important : elles réalisent plus d’un tiers de la valeur totale, soit 10 fois plus que pour les biens.
Exporter ou filialiser ?
Notre étude insiste également sur le rôle essentiel des filiales détenues par les entreprises françaises à l’international. Ce mode d’implantation, spécificité française par son ampleur, est une stratégie massivement mise en œuvre par les multinationales françaises pour servir les marchés étrangers.
On observe ainsi une hausse de plus de 50 % du nombre de filiales entre 2000 et 2020 pour un total de 49 850 unités. Les effectifs à l’étranger sont quant à eux passés de 2,06 millions à 6,98 millions de salariés, et le chiffre d’affaires annuel atteint 1 782,82 milliards d’euros. Cette croissance spectaculaire sur 20 ans classe notre pays devant l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne pour le nombre de filiales et de salariés à l’international. Les secteurs concernés et les zones géographiques servies sont très diversifiés. Le phénomène touche les biens comme les services.
Nous introduisons ainsi la distinction entre le Made in France (exportations depuis la France), le Made out of France (ventes réalisées par les filiales étrangères) et le Made by France (exportations + ventes des filiales). Il est alors possible de mesurer la part de marché de la France par rapport aux autres pays selon ces trois indicateurs. Sous l’effet du dynamisme des filiales à l’étranger, il apparaît que la part de marché élargie de la France (made by) dans le secteur des biens est supérieure à celle des exportations (made in) : 4,6 % contre 3,1 % en 2019. Ceci s’explique par la part de marché plus élevée de la production des filiales (Made out of France) qui s’élève à 4,8 %.
Les entreprises françaises choisissent donc de servir de plus en plus la demande étrangère au moyen de filiales étrangères. Lorsqu’on prend en compte leur rôle, les performances du pays sont nettement meilleures et permettent, avec les services, d’équilibrer le solde agrégé de la balance des paiements pour les biens, services et revenus primaires. Ces constats soulèvent de nouveaux enjeux à l’heure où la France cherche à mettre en œuvre sa réindustrialisation.
Jean-Christophe Gessler, Maître de conférences en sciences de gestion, Université de Poitiers
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.