Elle est sur toutes les lèvres et sur de nombreuses tables, promesse de santé et de longévité, représentante d’un mode de vie actif et communautaire, sous de chauds et ensoleillés auspices. La diète méditerranéenne – ou régime méditerranéen – est inscrite sur la liste du patrimoine immatériel de l’Unesco depuis 2010. Elle est un gage de valeur culturelle, mais elle est aussi un puissant outil stratégique de promotion de produits alimentaires, par exemple de l’huile d’olive.
Par Marco Romagnoli, Université du Québec à Montréal (UQAM) – Photo de Travis Yewell sur Unsplash
Souvent évoquée pour ses bénéfices sur la santé, la diète méditerranéenne a été décrite pour la première fois en 1953 dans un ouvrage consacré à la Crète. On s’étonnait alors de la faible incidence de maladies cardio-vasculaires chez les habitants de l’île grecque, comparée aux Européens du Nord.
Cette diète, à base d’huile d’olive, invite, entres autres, à la consommation d’aliments frais, de fruits et légumes saisonniers et de grains entiers. Elle incarne l’essence du style de vie méditerranéen. Selon la définition de l’Unesco :
« Elle implique un ensemble de savoir-faire, de connaissances, de rituels, de symboliques et de traditions qui concernent les cultures, les récoltes, la cueillette, la pêche, l’élevage, la conservation, la transformation, la cuisson et, tout particulièrement, la façon de partager la table et de consommer les aliments. Manger ensemble constitue le fondement de l’identité et de la continuité culturelles des communautés du bassin méditerranéen. C’est un moment d’échange social et de communication, d’affirmation et de refondation de l’identité de la famille, du groupe ou de la communauté »
Mais au-delà de ses impacts sur notre santé, qu’est-ce que la diète méditerranéenne raconte de nous-mêmes, en tant que société ? De quoi est-elle le symptôme ?
Chercheur postdoctoral à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, mes recherches se situent à l’intersection des études patrimoniales et touristiques, de l’alimentation et de la santé mentale.
En 2021, j’ai notamment effectué des recherches de terrain, dans le Cilento (Italie), à Soria (Espagne) et à Marseille (France), où j’ai interrogé l’attachement des habitants à la diète méditerranéenne. J’ai écouté leurs histoires puis retracé la trame des dynamiques locales et sociales au cœur du concept de diète méditerranéenne.
Le miroir d’une crise sociétale profonde
Le concept de diète méditerranéenne renvoie ainsi à un mode de vie qui renforce les relations sociales et qui est bon pour la santé. Tout cela semble très simple et cohérent.
Cependant, la société dans laquelle nous vivons rend complexe la satisfaction de ces besoins de base. Ces dimensions sanitaires et sociales sont extrêmement recherchées, car elles constituent la base d’un équilibre qui fait défaut dans les sociétés mondialisées.
Claude Fischler, sociologue de l’alimentation humaine, décrit la crise multidimensionnelle du système alimentaire qui sévit dans les sociétés modernes.
Selon lui, une psychopathologie de l’alimentation quotidienne, est en cours. Elle serait caractérisée « par des perturbations de l’appétit, des poussées boulimiques, des grignotages anxieux ou compulsifs, etc ». Il suffit de penser à la consommation d’aliments ultra-transformés ou aux plats préparés et surgelés, mangés seuls devant la télé le soir ou devant l’ordinateur pendant la pause dîner.
Dans cette perspective psychopathologique alimentaire, qui est aussi le miroir d’une crise sociétale, des mécanismes de ré-activation culturelle (et ici alimentaire) se mettent en place. La ruée vers la diète méditerranéenne est un reflet de cette crise sociétale, car elle est à l’opposé de notre mode de vie.
Avec son inscription sur la liste de l’Unesco, la diète méditerranéenne est ainsi devenue un « monument » prestigieux de l’art culinaire méditerranéen.
Cette culture alimentaire est mythifiée et patrimonialisée après avoir subi un processus irréversible d’érosion des systèmes de production et de consommation alimentaires dans l’espace méditerranéen.
Gastro-nativisme : la politique dans l’assiette
L’arène alimentaire est l’un des lieux privilégiés d’expression des angoisses et des anxiétés de la vie contemporaine.
Fabio Parasecoli, chercheur en études alimentaires, qualifie de gastronativisme ces inquiétudes provoquées par la mondialisation. Il consiste en « l’utilisation idéologique de la nourriture en politique pour faire avancer les idées sur qui appartient à une communauté (quelle qu’en soit la définition) et qui n’y appartient pas ».
Le gastronativisme incarne ainsi un outil politique procurant « un sentiment d’enracinement, de confort et de sécurité » face au sentiment d’effondrement ressenti (changement climatique, guerres, pandémies, mondialisation…).
La diète méditerranéenne s’insère dans cette logique gastronativiste puisqu’elle incarne un style de vie que l’on peut adopter.
Différentes acceptions de la diète méditerranéenne, selon les communautés alimentaires
Souvent, nous entendons parler de diète méditerranéenne de la part des institutions et des universitaires. En revanche, nous entendons peu le point de vue des communautés qui pratiquent ce mode de vie.
Ma recherche de terrain, en 2021, visait à comprendre les différentes manières de définir, de décrire, de comprendre et de vivre la diète méditerranéenne, en fonction des communautés.
Dans le Cilento, la diète méditerranéenne évoque le « style de vie ». C’est un fait identitaire et une référence à la sphère socioculturelle plus largement (« notre style de vie », disent les habitants).
À Soria, elle incarne un « modèle nutritionnel » et s’inscrit dans le domaine sanitaire : les adjectifs les plus couramment utilisés sont ceux de « sain », « salutaire » et « soucieux de la santé ».
À Marseille, le terme « diète » renvoie à un imaginaire lié au jeûne, aux privations et aux abstentions alimentaires, tandis que le terme « méditerranéen » fait référence aux aliments bio, saisonniers et bons pour la santé. La référence est plutôt à la sphère agroalimentaire.
Un « sismographe socioculturel »
Qu’elle soit comprise comme un modèle nutritionnel, un mode de vie ou un patrimoine immatériel, la diète méditerranéenne est une issue de secours d’un système (sociétal, alimentaire, économique, environnemental) en crise et à la recherche continue de repères.
Les sismographes sont des instruments qui enregistrent et mesurent les tremblements de terre. À la manière d’un « sismographe socioculturel », la diète méditerranéenne permet de capter les vibrations, c’est-à-dire les changements qui se produisent dans la société contemporaine et auxquels les pratiques culturelles (et alimentaires) font face.
Marco Romagnoli, Postdoctoral research fellow, Université du Québec à Montréal (UQAM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.