Au festival de Cannes, un seul film espagnol a jamais gagné la prestigieuse palme d’or, en 1961. Le film s’appelait Viridiana, le réalisateur Luis Buñuel et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a fait scandale.
Photo de couverture : Viridiana, Luis Buñuel – capture d’écran Equinox
Censuré par Franco, honni par le Vatican, le long-métrage désigné par beaucoup comme « le meilleur film espagnol de tous les temps » est une critique acide de la charité chrétienne et des bourgeois.
Viridiana (Silva Pinal) vit au couvent, jusqu’à qu’elle se voit obligée de rendre visite à son oncle. Ce dernier tente de l’abuser sexuellement puis se suicide. La jeune fille hérite du domaine familial, décide d’abandonner les ordres mais d’embrasser la charité chrétienne en accueillant des pauvres dans la maison. Elle y vit avec le fils de feu son oncle et sa gouvernante, et se rend peu à peu compte de la futilité des valeurs chrétiennes face aux pulsions humaines.
Ce film est tourné alors que Buñuel rentre de 24 ans d’exil au Mexique. Profondément affecté par une éducation stricte chez les jésuites de Saragosse, le réalisateur expose dans son oeuvre tout son mépris pour la religion. À travers des scènes plus qu’explicites – une mascarade de cène avec un mendiant comme nouveau Jésus – il démontre à quel point la chrétienté aveugle de Viridiana et ses croyances presque fanatiques lui cachent la réalité crue du monde. Il y déploie aussi une vive critique des bourgeois, qui tentent de se racheter une conscience en aidant les miséreux.
Viridiana, le scandale du siècle
Pour obtenir l’autorisation de filmer de la part du gouvernement franquiste, Buñuel leur envoie un scénario abrégé. Ça ne suffira pas. L’administration lui demande de couper la scène finale, dans laquelle un acte charnel est suggéré entre Viridiana, son cousin et la gouvernante. Tant pis, il la remplacera par une scène tout aussi scandaleuse mais moins explicite : les trois personnages jouant aux cartes. Une parade pour suggérer un ménage à trois.
Le film fait scandale sur la croisette. Absent pour la cérémonie à Cannes, Buñuel demande au directeur de la cinématographie espagnole de recevoir la palme d’or à sa place. Il s’exécute, et pour ce geste, sera renvoyé de son poste dès son retour en Espagne. Après la diffusion du film en festival, les autorités retirent à Viridiana sa nationalité. De son côté, le Vatican crie à l’oeuvre blasphématoire. Tout de même projeté en France, Viridiana ne sera autorisé à la diffusion dans son propre pays qu’en 1977, soit deux ans après la chute de Franco.