Quand les Français de Barcelone avaient leur président et leur gouvernement

Pendant 60 ans, la communauté française de Barcelone, autrefois appelée colonie, disposait de son propre gouvernement. Retour sur cet épisode aussi insolite que méconnu. 

Photo : visite de Raymond Poincaré à Madrid en 1913 – crédit Historia urbana de Madrid

Par « gouvernement », nous entendons le conseil élu par les principales entités de la colonie et qui, à son tour, désignait un président et protégeait les intérêts économiques et culturels des Français de Barcelone. Ce conseil, existant de 1898 à 1958, fonctionnait sur un modèle collégial ce qui fait que les fonctions du président étaient avant tout honorifique.

Ce conseil était surnommé « la Générale », car son nom officiel était bien long « Société Générale Française de Bienfaisance ». Attention, cette structure ne correspond pas à la Bienfaisance actuelle, même si des liens entre les deux existaient.

Des pouvoirs essentiellement de coordination

Ce conseil s’occupait principalement de questions juridiques, contractait des dettes au nom de l’ensemble des associations auprès des banques. Par exemple, c’est lui qui s’endetta pour permettre aux Écoles françaises (actuelle École Lesseps) d’acquérir le terrain et de bâtir l’édifice actuelle situé Gran Via, dans la première décennie du XXe siècle. Parallèlement, il coordonnait les actions éducatives (Écoles françaises), de solidarité (Bienfaisance) et de santé (Prévoyance).

Dans les années 1920, il impulsa la fondation du futur Lycée français. Ce conseil était renouvelé à intervalle régulier. Toutefois, il ne s’est jamais féminisé, en raison des mentalités de l’époque malgré quelques tentatives infructueuses. Être membre de ce gouvernement était très prestigieux, et la fonction de « président de la Générale » représentait la consécration d’une longue carrière au service de la colonie.

Souvent, le président de la Générale était nommé consul honoraire par les principautés de Monaco ou d’Andorre afin de représenter leur intérêts, tel Jean Dorgebray, nommé consul de Monaco en 1915. Pour éviter les conflits d’intérêts, les membres de la Générale ne pouvaient exercer aucune fonction au sein des principales associations de la colonie.

La lutte pour le titre de Président

Avec le temps, ce conseil devint si influent que son président adopta le titre honorifique de « président de la Colonie ». Cependant, cette décision fut contestée par Emmanuel Gès, le président de la Chambre de commerce (actuelle CCI), bastion des plus grandes fortunes de la Colonie. Emmanuel Gès se considérait comme le seul et légitime « président de la colonie », arguant que la défense des intérêts de la Colonie appartenait exclusivement de l’élite économique. En effet, pour lui, la Colonie était avant tout un ensemble d’intérêts financiers et commerciaux. De son côté, Jean Dorgebray, le président de la Générale, estimait que la défense des intérêts de la colonie revenait aux associations qui la constituaient. À ses yeux, la colonie était avant tout un espace de cohésion sociale. Cette confrontation illustre deux conceptions diamétralement opposées de la nature même de la colonie et des fondements du pouvoir : l’une basée sur la richesse, l’autre sur l’engagement social.

Lire aussi : Etre une Française de Barcelone au début du XXe siècle

La situation atteignit un point comique. En 1913, lors de la visite du président de la République française, Raymond Poincaré, à Madrid, une confusion insolite se produit. Jean Dorgebray et Emmanuel Gès se rendent à Madrid en se présentant comme président de la colonie de Barcelone auprès de l’invité de marque. Le consulat prend position pour Jean Dorgebray, mais Emmanuel Gès reste inflexible, engendrant une série de complications protocolaires. Emmanuel Gès luttera jusqu’à sa mort pour être reconnu président de la colonie.

Après son décès, un compromis est trouvé : le président de la colonie sera systématiquement le président de la Générale, mais ce dernier poste reviendra, si possible, presque toujours au président de la Chambre de Commerce. Comme quoi, même dans une petite colonie, la politique réserve bien des surprises.

 


L’histoire des Français de Barcelone

L’historien Guillaume Horn, auteur de cet article, a dirigé les recherches et la rédaction de l’ouvrage LES FRANÇAIS DE BARCELONE, OMBRES ET LUMIÈRES – DU XVE AU XXE SIÈCLE.

Le livre est toujours disponible et s’il est acheté à la librairie française de Barcelone Jaimes, tous les revenus sont reversés à la Bienfaisance. Infos et commandes sur le site de la librairie.

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