Il faut ramener du vert dans la ville, nous répète-t-on sans cesse. Oui, mais cette revégétalisation des espaces se fait souvent aux dépens des classes les plus défavorisées, qui subissent là une nouvelle forme de gentrification. Explications.
Photo de couverture : banque d’images de la mairie – Martí Petit
À l’aube d’une crise environnementale sans précédent, il faut verdir l’espace public. Oui, mais à quel prix ? Ou plutôt, aux dépens de qui ? C’est toute l’épineuse question que pose le problème de la gentrification verte, en marche à Barcelone comme dans des dizaines d’autres villes dans le monde. La gentrification verte, pour le dire simplement, c’est l’expulsion des populations moins aisées de leurs quartiers lorsqu’il y a verdification de l’espace public environnant. Les alentours de leurs quartiers autrefois considérés comme peu attrayants attirent dès leur revégétalisation des franges de la population plus aisées, augmentant le prix de la vie sur place et chassant, in fine, les locaux.
À Barcelone, ce phénomène a débuté dans les années 2000, alors que les projets environnementaux enclenchés en 1992 à l’occasion des Jeux Olympiques ont commencé à éclore, et que la cité comtale est devenue une ville de premier plan. Ces dernières années, la gentrification verte a explosé notamment à cause de la crise sanitaire et des digital nomads, qui ont drainé une catégorie d’individus à la recherche de toujours plus d’espaces verts. C’est aussi le fruit de la politique de la maire Ada Colau (2015-2023), qui a diffusé à l’internationale l’image d’une Barcelone très portée sur les questions environnementales. Par conséquent, la cité catalane est devenue le lieu de rencontres de tous ceux qui désirent verdir les zones urbaines à tout prix.
« Les espaces verts ont des effets bénéfiques sur la santé mentale »
Mais cette végétalisation en apparence innocente a des conséquences et de manière plus générale, ces nouveaux espaces verts dépossèdent la ville de ses habitants. Avant de parler de chasser des populations, la simple présence d’un espace vert couplée à l’absence de logements sociaux entraîne une désertion desdits espaces par les Barcelonais, nous explique Isabelle Anguelovski, professeure à l’Institut de Sciences Environnementales de l’Université de Barcelone et autrice de plusieurs livres sur le sujet :
« Avant même de parler du fait d’être chassé par la gentrification, l’absence de possibilité de contact avec les espaces verts a un impact négatif. On perd l’accès social et culturel permis par les espaces verts à partir du moment où ceux-ci sont pris d’assaut par les touristes. Cette fréquentation s’accompagne souvent d’insécurité car ces touristes attirent la criminalité, et cela empêche les jeunes mamans, par exemple, de s’y balader ».
Photo : banque d’images de la mairie – Mariona Gil
La gentrification verte ne serait donc qu’un problème de touristes ? Pas vraiment, continue la professeure. En Espagne, le gros souci reste celui de la quasi-absence de logements sociaux. Car espace vert ou non, le logement social permettrait à ces populations de rester habiter dans leur territoire. Mais la péninsule ibérique est affreusement en retard sur ces questions et cela entraîne une double peine pour les populations défavorisées, qui non seulement se voient reléguer dans des zones en marge du centre-ville mais souffrent en plus de l’impact psychologique et physique amené par l’absence de nature dans leur environnement, explique la Franco-Américaine :
« Les espaces verts ont des effets bénéfiques sur la santé mentale : ils diminuent l’anxiété, et génèrent un sentiment communautaire. Ils ont également un impact positif sur la santé physique : grâce à eux la chaleur baisse dans les villes, ce qui se traduit par une meilleure qualité du sommeil, et peut aussi permettre d’aller faire de l’activité physique » .
Gentrification verte : l’inarrêtable avancée ?
Alors, les populations moins aisées sont-elles condamnées à devoir fuir dès qu’un projet d’espace vert se met en branle chez eux ? Peut-on stopper cette gentrification verte ? Pour la professeure, enrayer le phénomène est possible : « Il faut absolument que dès qu’un nouveau projet vert est lancé, un plan social agressif soit mis en place ».
Elle propose aussi l’éclatement des espaces pour mieux diluer les flux de touristes. Au lieu de créer deux ou trois grands parcs, pourquoi ne pas les diviser en plusieurs plus petits ? Cela permettrait aux populations de se répartir entre lesdits espaces, aérerait la ville et arrêterait la concentration de logements touristiques dans certains endroits pour permettre aux locaux de les réintégrer, et ainsi de mieux respirer.