Le discours de non-démission de Pedro Sánchez a créé un certain malaise auprès de magistrats déjà très remontés contre le leader socialiste. Récit.
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C’est un emballement inédit que vit actuellement la sphère politico-judiciaire espagnole. L’affaire a débuté il y a quelques semaines avec la publication d’articles sur des médias en ligne incriminant l’épouse de l’actuel chef du gouvernement. Les faits relatés remontent à 2020, alors que Begoña Gomez était à la tête de la fondation IE Africa Center, liée à l’école de commerce madrilène IE University.
Selon le pure-player El Confidencial, elle aurait « signé un accord de parrainage avec Globalia », propriétaire de la compagnie aérienne Air Europa, et « assisté à une réunion privée avec son PDG » alors que l’entreprise « négociait son plan de sauvetage de plusieurs millions d’euros avec le gouvernement » durant la pandémie. D’autres médias espagnols évoquent également des liens avec plusieurs entreprises ayant reçu des fonds publics. Rapidement, le collectif Manos Limpias, proche de l’extrême droite et connu pour ses croisades contre les personnalités de gauche, porte plainte. Il reconnaitra plus tard ne pas avoir vérifié les informations publiées, laissant ce rôle à la justice. Un juge de Madrid admet la plainte et ouvre une enquête pour trafic d’influence et corruption. C’en est trop pour Pedro Sánchez, qui s’estime harcelé, menace de démissionner et réapparaît cinq jours plus tard en expliquant qu’il reste, mais va effectuer « un nettoyage » et « une régénération ».
Polarisation des idéologies
« C’est ridicule et en même temps ça fait peur, cela veut dire qu’on ne peut plus enquêter sur les responsables politiques, que ce soit la presse ou la justice « , s’indigne Javier, avocat pénaliste à Barcelone et visiblement inquiet. Il faut dire que depuis la loi d’amnistie concédée par Sánchez aux indépendantistes (mais pas encore définitivement approuvée), le monde judiciaire a la fâcheuse impression que l’exécutif marche sur ses plates-bandes.
Cette semaine, 5000 juges, avocats et hauts fonctionnaires ont signé une pétition demandant au gouvernement de « respecter la séparation des pouvoirs ». Lors d’un événement organisé lundi au Syndicat des Avocats de Madrid, la juge Pilar Astray a déclaré devant un parterre de confrères que « les valeurs constituant un Etat de droit, social et démocratique, sont en danger » et que « les libertés ne sont pas respectés ».
Un effet de la polarisation des idéologies, selon le politologue barcelonais Sergio de Maya. « La magistrature espagnole est très ancrée à droite », souligne l’expert. Mais que les craintes soient légitimes ou imaginées, la rupture est en tous cas bel et bien consommée entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif. Un terrain sans doute glissant pour une jeune démocratie européenne.