Dimanche 28 avril, la Catalogne fêtait les 600 ans d’un des piliers de sa culture populaire. Venus des quatre coins de la région et parfois d’au-delà de ses frontières, ce sont plus de 600 géants qui se sont rejoints à Barcelone. Reportage.
Photos et vidéos : Cyane Morel
Dans le froid – relatif, à Barcelone – de ce dimanche matin, un drôle d’attroupement se fait autour du Centre culturel et mémoriel, dans le quartier du Born. Des grappes d’hommes et de femmes s’essaiment ça et là, semblant se regrouper par couleur de t-shirts. Ils et elles se saluent et s’enlacent comme lors de grandes fêtes, et une excitation comparable à celle d’une veille de Noël se répand dans l’air. Sur leurs t-shirts, les couleurs correspondent à des groupes : « Géants de Santa Maria del Mar », « Géants de l’Eixample », « Géants de Pi »… Chacun a répondu présent pour célébrer en ce dernier dimanche d’avril les 600 ans de la tradition géante.
« Tout le monde veut avoir un géant plus beau que le voisin »
Eloi a 24 ans. Restaurateur d’oeuvres d’art à la ville, il fait aussi partie du groupe des géants de Poble-Sec. Chaussé des traditionnelles espadrilles à lacets catalanes – aussi portées pour danser la sardane – il est un de ceux qui soulèveront une figurine d’environ 60 kilos. Ce jour, explique-t-il, est hautement significatif pour la communauté géante, dont la tradition remonte à des siècles :
« On célèbre aujourd’hui l’anniversaire de la première référence des traditions géantes. Au départ, ils ont été inventés pour prendre part aux processions et aux fêtes religieuses et représentaient des personnages bibliques comme Goliath ou Saint-Christophe. Au fil du temps, ils ont ensuite incarné des personnages historiques de Catalogne comme les rois fondateurs de Barcelone. Aujourd’hui, les géants représentent l’identité d’un quartier ».
Historiquement, Poble-Sec est une zone comptant un certain nombre de cabarets et de bars. Par conséquent, les géants de de ce quartier – qui vont par deux – représentent une vedette de music-hall en costume de scène et un de ses amants, prêt à lui offrir un collier. Très modernes et pas forcément appréciés par les Catalans plus traditionnels, les figurines de Poble-Sec dénotent dans cette nuée de figures religieuses aux ornements clinquants et aux faces austères.
Photo : Cyane Morel
« Bien sûr, il y a une compétition officieuse, tout le monde veut avoir un géant plus beau que le voisin », continue Eloi, qui rappelle que le dernier concours pour élire le meilleur géant s’est tenu en 1900. Depuis, les différentes communautés se serrent les coudes pour faire perdurer la culture populaire catalane. Catalane ? Pas que. Si cette tradition est bien née ici, des groupes madrilènes, du pays basque et mêmes trois délégations françaises venues des Pyrénées-Orientales ont fait le déplacement pour ce jour mémorable. Un voyage entrepris dans l’inquiétude avec l’annonce d’une tempête sur Barcelone : finalement, comme souvent, la météo s’est trompée et seules quelques gouttes parsemées viendront troubler la fête.
Les géants : une tradition populaire
Un temps maussade, certes, mais l’atmosphère reste au beau fixe et l’entraide et le partage sont les maîtres-mots de la journée. Parmi les différents groupes défilant, la tradition semble ne pas connaître de frontière ni d’âge. Les jeunes de 20 ans côtoient les moins jeunes de 60 et les enfants, qui sont de loin les plus excités des participants. Certains d’entre eux portent d’ailleurs de minuscules géants – aussi antithétique que cela puisse paraître – sur leurs épaules. La vedette de music-hall de Poble-Sec avance avec grâce, portée par Eloi. Son amie Marta, 22 ans, et « membre depuis 22 ans » comme elle le dit en plaisantant, marche devant, le prévenant de la moindre marche, du moindre virage. Une danse, et puis on change de porteur : 60 kilos, ça pèse lourd. Et quand un des membres sort enfin de sous les jupes géantes, pas le temps de se reposer, le voilà à la flûte ou au tambour pour accompagner en musique la procession. Tout ce petit monde finit par arriver à Arc de Triomf, et là, comme un lilliputien chez Gulliver, on ne peut que lever la tête et admirer ces figures démesurées, rangées de part et d’autre de l’avenue.
Photo : Cyane Morel
Plus de 20 000 touristes sont venus au rendez-vous malgré la pluie, et aux balcons, aussi, les voisins se ruent pour apercevoir les géants. C’est qu’il y a quelque chose d’assez fascinant à retrouver des proportions humaines décuplées ainsi, et à se voir soi en version XXL. À l’heure où on crie à tort et à travers que les traditions se perdent, il est rassurant de voir cette foule compacte se bousculer pour les approcher : la tradition géante ne risque pas de rapetisser.
Bonus : le reportage vidéo
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