L’histoire de la condition des femmes au XXe siècle est connue du grand public. Toutefois, il serait plus approprié d’employer ce terme au pluriel. En effet, il existait une multitude de conditions féminines : bourgeoisie, ouvrière, paysanne. Et même au sein de ces catégories, il existe une multitude de réalités (veuvages, célibats, etc.) que nous retrouvons au sein de la colonie française de Barcelone documentée par une série de photographie d’époque.
Photos : Archives de la Chapelle française et archives personnelles de Guillaume Horn
La catégorie la mieux documentée et celle des bourgeoises. Si la tenue de leur maison et l’éducation de leurs enfants faisaient partie de leurs obligations sociales, elles pouvaient compter sur l’aide de domestiques afin de les épauler voire les remplacer. Une partie significative de leur temps était dédiée, pour ne pas dire cantonnée, au bénévolat. Ce dernier était considéré comme un devoir social inhérent à leur statut de privilégiées.
Elles s’engageaient dans une multitude d’associations catholiques ou laïques. Bien que confinées à un rôle de bienfaitrices, les bourgeoises tenaient un rôle clé dans la société de l’époque. En effet, tandis que le chef de famille construisait un réseau formel orienté par son emploi, leurs épouses développaient un réseau parallèle dans le milieu du bénévolat.
Une bourgeoise française de Barcelone avec ses deux chiens
Ces deux réseaux, bien que distincts, contribuaient tous deux à accroître leur influence. Si les hommes luttaient pour obtenir le statut de président de la colonie, les femmes s’efforçaient dans le but de récolter le plus d’argent pour une cause sociale. Toutefois, il existe d’autres profils de femmes françaises à Barcelone.
Quatre Françaises bénévoles dans la cour de la Chapelle française de Barcelone
Prenons l’exemple des veuves, particulièrement visibles après la Première Guerre mondiale, reconnaissables à leurs vêtements noirs. Dans la photographie ci-dessous, chaque détail a été soigneusement pensé. Les effets personnels du défunt mari sont accrochés au mur comme des reliques. La mort et la mémoire dominent la moitié supérieure de la photo, servant à la fois à perpétuer la mémoire et le sacrifice du soldat et à offrir sa protection à cet enfant qui, vu son âge, n’aura aucun souvenir de son père. L’image qu’il conservera de son père sera celle de ses armes accrochées au mur. La moitié inférieure de la photo illustre la vie.
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Les vêtements que porte la veuve reflètent l’ambigüité de sa pensée : elle est vêtue d’une robe, probablement claire ou grise, qui dissimule partiellement sa chemise noire. Cette composition crée une mise en scène puissante où l’opposition des deux éléments de la photo révèle un mélange minutieux de vie, de mort et du devoir de mémoire que la veuve se promet d’avoir.
Veuve française de Barcelone de la Première Guerre mondiale
Être une femme à Barcelone au début du XXe siècle, c’est aussi se préparer à son futur. rôle d’épouse et à devenir chrétienne. Dès leur jeune âge, les jeunes filles étaient confiées aux prêtres de la Chapelle française pour préparer leur première communion. La chapelle servait de lieu où l’on enseignait les devoirs de la femme et de l’épouse, conformément aux interprétations de l’époque de la Bible. Elles étaient chaperonnées par une veuve. Le conservatisme social prédominait. Pour preuve, cette illustration d’un journal français catholique de Barcelone, qui critiquent les évolutions législatives accordant davantage de libertés individuelles aux femmes.
Jeunes filles françaises se préparant au catéchisme dans la Chapelle française de Barcelone par une veuve, 1913
Une autre photo montre trois générations de femmes alsaciennes. Elles sont dans un jardin, c’est l’hiver ou le printemps. Les enfants jouent pendant que les adultes discutent. Il semble que le photographe soit venu leur demander de poser pour la photo. Les deux femmes les plus âgées, sans doute veuves, regardent d’un air bienveillant la petite fille qui a interrompu son jeu pour la photo et s’est accoudée sur la table où elle a accumulé un petit trésor fait de cailloux aux formes et couleurs les plus diverses. En arrière-plan, une autre jeune fille, la seule à fixer le photographe, semble presque le défier du regard, elle qui s’est partiellement dissimulée derrière les adultes.
Famille alsacienne vivant à Barcelone, vers 1910
Quant aux ouvrières françaises de Barcelone, nous n’avons pas de photos d’elles. Les femmes de la bourgeoisie représentent le visage des Françaises de Barcelone du début du XXe siècle, car elles étaient les seules à avoir les moyens de se faire photographier, à pouvoir s’offrir un visage. Mais, les archives ont conservé des noms, des adresses, ainsi que des témoignages souvent poignants sur les maladies de leurs maris, pères, frères et fils. Ce sont souvent des appels à l’aide.
Ce sont des attentes qu’elles expriment envers la bourgeoisie de laquelle elles espèrent recevoir quelques miettes. Pour ces femmes, le quotidien n’était pas rythmé par le bénévolat. Pour elles, c’était les usines, à travailler 10 à 12h d’affilée, le visage ridé par l’effort, les mains abîmées à force de filer à la chaîne. Quel visage pouvaient donc offrir ces milliers de femmes françaises anonymes à des photographes sensibles à la beauté bourgeoise ? Quelle beauté y avait-il à les photographier dans leurs maisons quand, fourbues par l’âge, leurs visages ne reflétaient qu’une vie de misère et de labeur ? Une seule photo de cette nature nous est parvenue, une goutte dans cette mer d’anonymes broyées par la Révolution industrielle. Cette photo nous rappelle que les photos plaisantes de la bourgeoisie cachent une société où la violence de genre était la règle et où la violence sociale se fondait sur l’exploitation indissociée des hommes et des femmes par d’autres hommes et femmes.
Une domestique ramassant des feuilles dans la cour d’une maison
L’histoire des Français de Barcelone
L’historien Guillaume Horn, auteur de cet article, a dirigé les recherches et la rédaction de l’ouvrage LES FRANÇAIS DE BARCELONE, OMBRES ET LUMIÈRES – DU XVE AU XXE SIÈCLE.
Le livre est toujours disponible et s’il est acheté à la librairie française de Barcelone Jaimes, tous les revenus sont reversés à la Bienfaisance. Infos et commandes sur le site de la librairie.