Les Barcelonais préfèrent la laideur

Les phénomènes de tourisme massif et de gentrification transforment depuis plusieurs années les quartiers récemment rénovés de Barcelone. Jusqu’à en devenir une angoisse pour les habitants. 

En d’autres temps, le projet aurait mis tout le monde d’accord. La plaça dels Angels, devant le Macba, plus neuve, plus arborée, plus ombragée et avec plus de terrasses : le plan de rénovation de la mairie coche toutes les cases pour embellir cette place emblématique du quartier populaire du Raval. Mais voilà, à Barcelone, les habitants se méfient maintenant du neuf et du beau. « Ce serait ma décision, je préférerais qu’on ne rénove pas », confie Maria, s’apprêtant à rentrer dans son immeuble avec vue sur la place. La trentenaire, originaire d’un village catalan, vit ici depuis une dizaine d’années. « C’est bien de rénover et de faire de jolies choses, mais on a tendance à perdre l’âme des quartiers de Barcelone, il faut préserver l’espace public pour les habitants, pour les familles, pour que les gens d’ici ne soient pas obligés de partir ».

Car chaque rénovation s’est traduite ces dernières années à Barcelone par une augmentation de l’attractivité et donc du montant des loyers, forçant certains habitants à quitter le quartier, voire la ville pour se loger à prix raisonnable. Dans les zones les plus en vue, chaque embellissement s’est aussi accompagné de l’expulsion de locataires de longue date pour transformer leurs logements en appartements touristiques. « Le problème, c’est que ça ne va rien apporter aux habitants, il y aura juste plus de gens qui viendront passer un moment et nous, nous aurons encore moins d’espace public », craint David, le libraire du coin. « Ils font ça pour les touristes et pour les investisseurs, certainement pas pour nous ! », renchérit une cliente d’une soixantaine d’années.

Renoncer à un joli quartier pour en préserver l’essence, c’est le message que portent de nombreuses associations locales, depuis celles du Raval qui ont manifesté contre la rénovation de la Plaça dels Angels, jusqu’à celles de la Barceloneta, qui luttent depuis bien plus longtemps pour survivre à la gentrification.

De nécessaires régulations

« Les gens ne se plaignent pas parce que leur quartier est trop joli, mais parce qu’on leur augmente le loyer, la ville s’améliore tout le temps et cela produit une satisfaction parmi les habitants », assure de son côté l’historien Marc Andreu dans les colonnes de La Vanguardia. Alors comment réconcilier les Barcelonais avec l’embellissement de leur ville ? Avec des politiques publiques efficaces, répondent les experts.

raval rue passants barcelone aurelie chamerois scaled« Si on modifie un espace où il existe déjà un processus de spéculation immobilière, comme cela a été le cas pour la rue Consell de Cent qui est devenue piétonne, il faut l’associer systématiquement à un moratoire sur les expulsions et un interventionnisme sur le prix des logements, il doit obligatoirement y avoir une intervention sur le contexte social », plaide le chercheur Jorge Sequera, auteur de plusieurs études sur les transformations urbaines.

Le cas de la rue Consell de Cent, qui fait partie du dernier ilôt piéton mis en place par la mairie, est édifiant. En un an, les loyers ont augmenté de 154%. A la vente, les appartements sont deux fois plus chers que dans une rue parallèle et ouverte à la circulation. Logiquement, les classes moyennes ont ici été remplacées par des classes supérieures, le revenu moyen par habitant ayant grimpé de 1700 à 3100 euros par mois. « Les gens finissent par partir de leur quartier car on a fait du logement une marchandise, et cela se passe dans tous les coins de Barcelone, s’insurge David, le libraire, ce n’est pas embellir la ville qui pose problème, c’est qu’on ne protège pas les habitants ».

Le mois dernier, l’Etat espagnol a a validé une loi d’encadrement des loyers, qui limite l’augmentation des prix. Et cette semaine, le gouvernement catalan a légiféré pour réduire les logements touristiques. Des mesures tardive et encore timides, qui espèrent toutefois contribuer à préserver ce qui fait l’essence de Barcelone : les Barcelonais.

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