Si les associations s’inquiètent d’un « nettoyage social » juste avant les Jeux olympiques de Paris, le phénomène n’est pas nouveau. Retour sur l‘opération « Barcelone propre » menée juste avant les JO de 1992.
Photos : Ajuntament de Barcelona, Arxius de Barcelona et images personnelles DR
Décembre 1990. Barcelone est en ébullition. Les Jeux débutent dans 20 mois et la ville est sens dessous dessus. Refonte complète du littoral avec ses nouvelles plages et promenades, construction des boulevards périphériques, édification des installations sportives à Montjuic. Ce jour d’hiver plutôt doux, le maire Pasqual Maragall se met en scène sous l’oeil de photographes. Veste sur les épaules et marteau à la main, il achève la démolition de la dernière « barraca ».
Au milieu de siècle dernier, ces maisonnettes ont répondu à l’afflux de migrants venus de toutes les régions d’Espagne pour débuter une nouvelle vie à Barcelone. Face à une pénurie d’appartements à prix accessibles, les nouveaux venus se construisent eux-mêmes des abris de fortune, sur les hauteurs de Montjuic, celles du Carmel ou au bord de la mer. Des cabanes parfois en bois, puis en béton ou en briques, édifiées sans permis de construire ni normes d’hygiène ou de sécurité.
Les autorités ont d’abord essayé de les détruire, puis dans les années 50, elles ont laissé faire pour que les ouvriers nécessaires à l’essor de la construction immobilière puissent se loger rapidement. Dès les années 60 toutefois, des quartiers entiers de barracas commencent à être éradiqués par la ville, comme celui de la plage de Somorrostro.
Les barraquistas déménagent progressivement dans les nouveaux appartements bon marché qui fleurissent dans les quartiers périphériques, côté Besos ou Collserola. Mais à l’aube des Jeux de 1992, certains de ces habitats d’un autre siècle perdurent et l’image ne correspond pas vraiment à celle que veut désormais se donner Barcelone. Les oubliés de la cité catalane passent soudain sous les projecteurs.
Cacher la misère
« Il fallait que tout paraisse bien propre avant les Jeux olympiques, comme disait la mairie », se souvient Ivan Patrici Navarro, historien et auteur d’une thèse sur les dernières barracas de Barcelone. Il avait un peu moins de 10 ans quand la sienne fut détruite à Can Baró, non loin des actuels Bunkers et du Carmel. Suite à une expulsion immobilière, sa famille s’était installée dans l’une de ces maisonnettes, abandonnée par ses précédents occupants.
Si Ivan Patrici Navarro garde de bons souvenirs de son enfance, les adultes, eux, aspiraient alors à de meilleures conditions de vie pour leur famille. Dès 1970, les barraquistas enchaînent les manifestations pour réclamer le droit à un logement digne. Ils sont soutenus par les associations de quartiers, qui exigent la construction de logements sociaux pour remplacer les maisonnettes insalubres. Une lutte qui intéresse peu la mairie, deux décennies durant.
Il faudra donc attendre les JO pour que les autorités tournent leurs regards vers ces « invisibles ». Elle se décide à proposer des solutions de relogement dans le nouveau quartier populaire de Nou Barris et en quelques mois, les dernières barracas sont détruites.
Dernières, ou presque, souligne notre historien. Car des logements de fortune, illégaux et insalubres, fleurissent encore ponctuellement à Barcelone, revers du boom immobilier qui écrase les plus précaires. Des tentes à Collserola, des cabanes de tôle et de plastique à Vallcarca, la misère n’a pas complètement disparu. Elle est juste un peu plus loin des regards.