En 1933, le journaliste catalan Domènec Pallerola i Munni, dit « Domènec de Bellmunt » (1903-1993), publie dans le journal « L’Opinió » une série de reportages. Dans celui du 8 juillet, il infiltre un groupe de touristes britanniques qui découvre Barcelone pour la première fois…
Photo de couverture : Plaza Cataluña, cerca 1930, Archives nationales de Catalogne, fonds Joan Artigues i Carbonell
Morceaux choisis par le professeur émérite de l’UPF et membre de la CEI Josep Maria Casasús, pour le journal « Ara » du 06 janvier 2024.
« Je suis un touriste qui découvre Barcelone… »
« Le long de Paral·lel, encore assoupis par la fête terminée à l’aube, nous entrons dans las Rondas, vers Plaza de la Universitat. Le guide, debout dans le car, dos au volant et face aux touristes, nous explique que Paral·lel est le quartier joyeux de la ville : “On n’y voit que des cabarets et des music-halls. La nuit, cette rue est pleine de gens qui sortent pour s’amuser. Dans ce décor, on assiste aux meilleurs spectacles de castagnettes d’Andalousie et on danse les zapateados [sorte de claquettes du flamenco, ndlr] les plus excitants du pays gitan.” Mes compagnons Britanniques, aux pantalons de golf et aux nez rouges, ouvrent des yeux de merlan-frit en essayent de l’écouter. […] Puis nous remontons las Rondas sans que le guide ne nous signale rien d’intéressant. L’Université ne suscite aucun enthousiasme. Nous allons directement à Plaza de Catalunya.
En arrivant sur la place, mes camarades touristes montrent des signes évidents d’admiration. Les pigeons et le bruit du groupe d’enfants qui y résonne attirent leur attention. […] Mes Anglais veulent acheter du maïs pour le donner aux pigeons. Selon eux, ils sont les meilleurs amis du monde. Les pigeons grimpent dans leurs bras, leurs têtes, leurs mains et ils crient, fous de joie. Puis ils s’énervent parce que des idiots, pour plaisanter, passent au milieu du groupe faisant fuir les bestioles, et en se dirigeant vers la voiture ils constatent avec dégoût que le sable de la magnifique place est recouvert des crachats de gens impolis. Entre le milieu de la Plaza et le bus, nous sommes envahis par une demi-douzaine de mendiants lourds et poisseux comme du gui. […] Nous descendons la Via Laietana et entrons dans la rue Jaume I sur la Plaza de la República, où nous nous arrêtons pendant une heure pour visiter le quartier gothique, c’est-à-dire la cathédrale, “the house of the Arcediano”, “the house of the Canonja”, “the Palace of the Aragonese Crown”, la Plaza del Rey et le Palau de la Generalitat…
Photo : Fleuristes à l’intérieur du Palau de la Generalitat, cerca 1930, Archives nationales de Catalogne, fonds Josep Maria Sagarra i Plana
Je suis sûr que de nombreux habitants de Barcelone ne connaissent pas les innombrables beautés du quartier gothique. Mieux, je suis même sûr que les touristes qui découvrent Barcelone en savent plus sur cette Barcelone que les Catalans eux-mêmes. Combien de citoyens n’ont pas encore visité l’ancien Palau de la Generalitat avec l’attention qu’il mérite ! […] Mes collègues s’apprêtent à visiter l’un des joyaux gothiques de la maison : la chapelle Sant Jordi. La dévotion à ce saint – dit le guide – remonte à l’époque des croisés, qui apportèrent la renommée du saint chevalier aux cours Catalanes-Aragonaises. […] Le portail gothique est une merveille de grâce et de goût. Nous entrons dans la petite chapelle et admirons le formidable retable pour la construction duquel 200 kilos d’argent ont été utilisés. […] On voit sous le dais d’argent de l’autel les superbes reliquaires en or et en argent renfermant un morceau de fémur de Sant Jordi. Puisque la garde nous prend pour des gens de qualité, elle nous montre le trésor du saint ainsi qu’une grandiose arche illuminée et indestructible, dans laquelle sont conservés quelques reliquaires valant une fortune et qui sont encore tant d’autres merveilles artistiques… »