Devra-t-on bientôt dire adieu à la paëlla espagnole ? Face à une réglementation environnementale européenne plus stricte, une espèce de riz essentielle à la gastronomie nationale, le riz bomba, se trouve aujourd’hui sur la corde raide.
À Valence, le rendement du riz bomba, essentiel à la paëlla et cultivé quasi exclusivement en Espagne, a chuté de moitié en 2023. Miguel Minguet, producteur local et président de l’Association Valencienne des Agriculteurs, prédit la disparition imminente de cette variété.
En cause : l’absence de solutions efficaces pour lutter contre des maladies telles que le champignon Pyricularia, les ravageurs et mauvaises herbes. Les agriculteurs accusent particulièrement l’interdiction par l’Union européenne d’un pesticide clé. En 2018, l’Union européenne a tiré un trait sur le tricyclazole, une substance en vigueur depuis quatre décennies pour lutter contre les champignons et autres nuisibles ravageant le riz bomba dans les marais espagnols. A l’époque, les institutions invoquent des risques pour la santé pour justifier leur décision. Mais l’environnement pourrait aussi pâtir de ces fongicides.
Dans l’Albufera, écrin de nature aux portes de Valence, berceau de la paëlla espagnole, la production de riz repose encore sur l’usage d’au moins deux fongicides. Sauf que ces substances infiltrent l’écosystème fragile, mettant en péril les populations de crevettes, relève une étude de 2023 pilotée par Andreu Rico, expert en biodiversité de l’Université de Valence. Ces fongicides sont donc désormais dans le collimateur de l’UE et de son Green Deal.
Concurrence déloyale pour la paëlla espagnole
Aujourd’hui, cette crise prend de l’ampleur dans le contexte de manifestations généralisées à travers l’Europe, les agriculteurs dénonçant les politiques de l’UE qu’ils jugent favorables à leurs compétiteurs non européens.
Car pendant ce temps, à l’international, des pays comme le Brésil, l’Inde et le Cambodge continuent d’employer le tricyclazole, accentuant la frustration des agriculteurs européens qui voient leurs concurrents avantagés. Comment est-ce possible ? L’UE autorise encore des niveaux minimes de ce fongicide dans les produits importés.
« Il y a un ensemble de règles pour l’Europe et un autre pour ceux qui produisent à l’extérieur », a déclaré à l’agence Reuters Emilio Gonzalez, professeur à l’École d’Ingénierie Agricole et Forestière de l’Université de Cordoue. Les biens importés doivent respecter les niveaux de résidus fixés par l’UE, indique pour sa part un porte-parole de l’équipe du Green Deal européen. Ces niveaux « garantissent que les produits sont sûrs pour la consommation humaine ».
L’impact de la sécheresse
Une lueur d’espoir pour les agriculteurs espagnols (et les amateurs de paëlla), toutefois : face à l’intensité des manifestation des agriculteurs, la Commission européenne a finalement décidé de renoncer à son ambition de diminuer de moitié l’utilisation des pesticides d’ici à 2030. Mais la réhabilitation du fameux tricyclazole, sauveur du riz bomba, n’est pas à l’ordre du jour…
D’autant qu’outre les champignons, les cultures souffrent également de la grave sécheresse qui frappe l’Andalousie et l’Estrémadure. Face au mauvais rendement des cultures, asséchées dans le sud et ravagées par les maladies à Valence, le prix du riz bomba a littéralement doublé en l’espace de trois ans, atteignant les cinq euros le kilo dans les enseignes comme Carrefour ou Ahorramas. Mercadona, géant de la distribution en Espagne, a même reconnu des ruptures de stock entre mai et octobre dernier. Si le riz bomba est depuis de retour dans les rayons, rien n’assure sa survie indéfiniment…