Barcelone voit un tiers de ses annonces immobilières dédiées aux locations temporaires, une pratique dont abusent les propriétaires et agences pour contourner la loi et fixer les loyers à leur guise.
Photo : Clémentine Laurent
La Ciutat Comtal se trouve aujourd’hui au cœur d’un conflit urbain où le droit au logement flirte avec la précarité. Les locataires étrangers ou espagnols, en quête d’une vie catalane de rêve, se heurtent au mur des locations temporaires, une jungle où la loi du plus rusé semble primer. Avec des prix qui crèvent le plafond, un des sujets de conversation préférés des Barcelonais.
La ville a ainsi vu l’an dernier un tiers de ses annonces immobilières se dédier à ces locations de passage, qui peuvent aller de 32 jours à 11 mois, contre 5 ans minimum pour un bail traditionnel. Une explosion de 53% en un an, qui, loin d’être un feu de joie, éteint peu à peu les espoirs de ceux cherchant un chez-soi stable. « Les données de clôture de l’année démontrent comment légiférer sans tenir compte des propriétaires peut finir par détruire le marché » déplore Francisco Irañeta, porte-parole d’Idealista.
Mais que fait le gouvernement ? Il régule les loyers, pardi, au moyen d’une loi sur le logement votée en mai 2023. Sauf que… cette loi n’encadre pas les locations temporaires. Les propriétaires (ou agences immobilières) imposent donc leurs prix qui n’ont parfois rien à envier aux loyers de Londres ou New York. Des prix qu’ils peuvent se permettre d’augmenter à chaque fois qu’un bail temporaire touche à son terme, contrairement aux locations classiques.
Malgré ce surréalisme, ces locations trouvent souvent preneurs : elles sont pratiquement devenues la norme pour tout Barcelonais qui cherche un logement décent et bien situé. Un goût amer qui se fait sentir dans les quartiers les plus prisés des touristes, du Gòtic à Gràcia en passant par le Born.
Les locations temporaires : à la limite de la légalité
Au vu de l’explosion de ces baux temporaires sur les plateformes immobilières, on en vient à se demander si cette pratique est bien légale. En théorie oui, puisqu’elle n’est pas encadrée par la loi sur le logement. Mais derrière ce mirage se cache la réalité d’un marché qui jongle très souvent avec la légalité. Pour Josep Maria Espinet, avocat spécialisé en droit immobilier, ces locations temporaires sont devenues une aubaine de taille pour les propriétaires qui peuvent ainsi « contourner ou éviter l’application obligatoire de la législation sur le logement », qui doit modérer les prix des locations. Les abus fleurissent à tous les coins de rue de Barcelone.
Ajoutez à cela qu’on est parfois dans l’illégalité la plus totale. « Il se peut qu’il ne s’agisse pas d’une location saisonnière, mais d’un contrat normal que l’on tente de déguiser en location saisonnière », renchérit Óscar Martínez, président de l’Association Professionnelle des Experts Immobiliers (APEI). « Si le locataire enregistre cette adresse comme sa résidence et ne justifie pas que le contrat de location est destiné à un emploi occasionnel, celui-ci ne serait pas légal. » En cause : la loi interdit de faire signer ces contrats courts à des résidents. Le locataire d’un bail temporaire doit pouvoir prouver qu’il est légalement domicilié ailleurs, que ce soit en Espagne ou à l’étranger. Allez dire ça aux résidents barcelonais qui n’ont pas d’autre choix…
Pourtant, il est encore temps de tirer le frein à main avant de heurter le mur : des discussions doivent bientôt avoir lieu pour évaluer l’impact des locations temporaires sur le marché et envisager des ajustements législatifs, selon Josep Maria Espinet. L’objectif étant de s’assurer que ces pratiques ne contournent pas (plus ?) les objectifs d’accès au logement et de contrôle des loyers.