La ministre de l’Egalité, Ana Redondo, a annoncé cette semaine un futur projet de loi pour limiter les maisons closes, première étape vers l’abolition de la prostitution en Espagne.
L’Espagne est l’un des pays européen les plus adeptes de la prostitution. Selon les dernières enquêtes sociologiques rapportées par Le Monde, entre 33 % et 40 % des Espagnols reconnaissent avoir déjà eu recours, au moins une fois dans leur vie, au sexe tarifé, et environ 5 % en seraient des clients habituels. Selon les estimations, ce marché du sexe représenterait en Espagne entre 12 et 18 milliards d’euros par an.
Face à ce fléau, le gouvernement de Pedro Sanchez veut sévir. Cette semaine, la ministre de l’Egalité, Ana Redondo, a annoncé lors de la Commission pour l’Egalité que la pénalisation du tiers locatif serait la première étape d’une nouvelle feuille de route visant à abolir la prostitution.
Qu’est-ce que le tiers locatif ?
En droit, le tiers locatif désigne celui qui détient la propriété où a lieu une activité de prostitution. L’idée aujourd’hui est de punir celui qui utilise une propriété pour pratiquer de la prostitution à des fins lucratives et habituelles, autrement dit qui exerce du proxénétisme.
Le Code Pénal actuel (Article 194) indique déjà la fermeture de ces lieux s’il y a eu une condamnation, pour séquestration par exemple. Mais concrètement, très peu de plaintes sont déposées par les prostituées exploitées, qui sont majoritairement étrangères et en situation irrégulière.
Le gouvernement veut donc aller plus loin en élaborant un projet de loi sur la liberté sexuelle. Cette proposition du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) ne date pas d’aujourd’hui. Reprise de la dernière législature, le parti du Premier ministre Pedro Sanchez avait déjà la volonté de pénaliser la prostituion lors de la création de la loi “Solo si es si” sur le consentement. Mais l’autre groupe formant la majorité, Unidas Podemos à l’époque, était opposé à ce volet-ci du texte. Le Parti de Sanchez avait donc reculé en retirant cet amendement de la loi, entrée en vigueur en octobre 2022.
L’Espagne en route vers la pénalisation de la prostitution ?
En France, la prostitution et le racolage sont autorisés mais les clients qui achètent un service sexuel sont dans l’illégalité, tout comme le proxénète qui titre profit de cette activité. Une contradiction claire et assumée visant à interdire cette activité sans criminaliser les prostituées. Mais en Espagne, pas de contradictions ni de réglementations claires, juste un flou juridique qui plane sur la question.
Ni légale, ni illégale, ici on parle de prostitution alégale. Concrètement, on sanctionne les proxénètes seulement s’il y a une plainte déposée, et les clients uniquement si ça a lieu sur la voie publique. Un choix en demi-teinte, qui ne convient ni aux réglementaristes, qui veulent réglementer les travailleuses du sexe comme n’importe quel autre métier ; ni aux prohibitionistes, qui veulent interdire complètement la prostitution ; ni aux abolitionnistes, qui veulent abolir la prostitution sans pénaliser les prostituées considérées comme des victimes.
Le PSOE se positionne donc, comme l’explique Ana Redondo : “En tant que socialiste que je suis, pour moi, l’abolitionnisme est une fin, un objectif et nous devons avancer vers l’abolitionnisme comme l’ont fait d’autres pays”.
Selon le ministère de l’intérieur, qui communique régulièrement sur le démantèlement de réseaux d’esclavage sexuel, il y a plus de 45 000 femmes victimes de prostitution forcée en Espagne. Au total, il y aurait environ 60 000 femmes prostituées dans le pays, selon la ministre de l’Egalité. Plus de deux tiers des femmes prostituées seraient donc forcées. La préoccupation du consentement, dont l’Espagne est devenue pionnière, dans le travail du sexe reste alors la pierre angulaire de ce débat.
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