Depuis plusieurs semaines, le trafic maritime international est profondément perturbé par les assauts répétés des Houthis en mer Rouge. Bien que cette crise n’ait pas encore d’impact direct sur les supermarchés espagnols, la situation est sur un fil du rasoir.
Novembre 2023 a marqué un tournant pour la navigation en mer Rouge, désormais émaillée d’attaques récurrentes de la part des Houthis du Yémen, en soutien au Hamas face à Israël. Cette insécurité pousse un nombre croissant de navires provenant d’Asie à privilégier un détour par l’Afrique du Sud, délaissant l’itinéraire traditionnel de la mer d’Arabie à la Méditerranée, qui représente environ 15 % du commerce maritime mondial.
Ce trajet alternatif ajoute entre 10 et 20 jours à la durée du voyage, ce qui entraîne déjà une hausse significative des prix des frets maritimes, jusqu’à 170 %. Le coût d’un conteneur d’Asie vers l’Europe a triplé, passant d’environ 1.000 euros à 3.000 euros selon l’Association des Entreprises de Fabricants et de Distributeurs (Aecoc), voire jusqu’à 4.000 euros, avance Transprime, association professionnelle multisectorielle.
Un détour maritime qui risque d’affecter le commerce en Espagne, même si les dégâts sont pour le moment limités. La chaîne de grande consommation commence ainsi à anticiper ses achats pour éviter des ruptures d’approvisionnement, selon Aecoc. Le gouvernement surveille la situation face à une possible hausse des coûts de production et de l’inflation. En outre, la crise en mer Rouge menace jusqu’à 135 milliards d’euros de commerce, équivalant aux échanges de l’Espagne avec l’Asie en 2022.
Quels secteurs sont impactés par les tensions en mer Rouge ?
Le détournement des navires commerciaux affecte tout particulièrement l’industrie automobile, avec des interruptions annoncées par Tesla et Volvo, mais aussi les pneumatiques Michelin en Espagne et des entreprises textiles telles qu’Inditex, Mango et Desigual. En cause : ces secteurs dépendent hautement de fournisseurs asiatiques, dont les pièces et composants viennent tout doucement à manquer.
Dans les supermarchés espagnols, par contre, pas de quoi s’alarmer – pour le moment – selon l’Asociación Nacional Grandes de Empresas de Distribución, qui représente 7.230 magasins en Espagne. « Actuellement, nous ne disposons pas d’informations sur des incidents majeurs affectant les chaînes d’approvisionnement de nos entreprises », confie à Equinox le directeur de la communication d’ANGED, David Gracia. « Concernant plus spécifiquement la chaîne alimentaire, selon les informations fournies par le Ministère de l’Agriculture, l’impact éventuel semble être très limité, car il n’existe pas de dépendance envers les importations alimentaires provenant de cette région. »
Pour l’heure, des retards sont prévus pour certains ingrédients pour animaux et une partie des huiles tropicales, tandis que le secteur des fruits de mer « n’est pas à l’abri du conflit en mer Rouge », selon les déclarations de Roberto Alonso (Anfaco-Cecopesca), à Efeagro. Pour minimiser les risques, certains secteurs, comme ceux de l’huile d’olive et du porc blanc, ont avancé leurs achats ou diversifié leurs marchés.
« J’étais à une conférence au port de Barcelone il y a quelques jours, et ils n’ont pas abordé le sujet des Houthis », admet Antonino Valenti, professeur de Commerce et Finances Internationales à l’Université de Barcelone, suggérant qu’il ne s’agit pas d’une urgence pour le moment. Même si « d’autres ports sont pratiquement vides, ce qui prédit de grandes difficultés à venir », prévient-il.
Des prix bientôt en hausse dans les supermarchés espagnols ?
Attention donc à l’excès d’optimisme : si la situation en mer Rouge se prolonge, il faudrait s’attendre à davantage de retards, à une augmentation des coûts de transport… Et, au bout de la chaîne, à un impact direct sur les prix des produits dans les supermarchés espagnols. Sans compter que l’approche du Nouvel An lunaire chinois, période de forte demande, pourrait encore accroître les coûts de transport maritime.
Une telle prolongation des tensions en mer Rouge est d’ailleurs plus que probable, selon Adrian Caballero Escusol, expert en politique à l’Université Autonome de Barcelone. « Quand pourrions-nous voir ces perturbations disparaître ? Premier scénario : lorsque, pour une raison X, les Houthis n’en bénéficient plus. Je ne vois quelle pourrait être la raison X », admet-il. « Deuxième scénario : lorsque le conflit à Gaza sera ‘désescaladé’… Ce qui est peu probable à court terme. En troisième, lorsqu’un élément permettra de contrer les Houthis, et enfin, lorsqu’on leur offrira quelque chose de substantiel en retour, comme un accord commercial important. » Rien qui ne paraisse particulièrement réaliste dans un futur immédiat…