Nombreux sont les Français de Barcelone qui vivent principalement dans leur langue maternelle, à la maison comme au travail. Par manque de temps, d’envie ou de besoin, certains restent même des années sans apprendre l’espagnol ou le catalan. Rencontres.
Photo : Clémentine Laurent
Dans une petite rue de Gràcia, à deux pas de la Casa Vicens, le salon de coiffure de Marine est un petit bout de France, comme on en trouve beaucoup à Barcelone. « 90% de ma clientèle est française, je peux passer des jours entiers sans parler espagnol ». L’élégante trentenaire parle la langue du pays mais a peu d’occasions de la pratiquer, entre un salon très couru par ses compatriotes et un cercle d’amis qui s’est naturellement fait en français.« Je vais aussi souvent voir des spectacles en français, comme les Petits Barcelonais, j’ai peur de ne pas tout saisir si j’y vais en espagnol ». Un cercle vicieux qui ne l’incite pas à progresser, et peut même quelque peu ternir l’expérience d’expatriation. « Quand je suis venue ici, c’était pour vivre en Espagne et je me dis qu’on n’est pas trop dépaysés, on se sent parfois en France ».
Comme elle, plus de 16.000 résidents en Catalogne ont le français pour langue habituelle, selon l’institut de statistiques catalan. Mais la Nantaise reconnaît aussi jouer sur le côté communautaire de ses compatriotes, qui vont préférer venir dans son salon plutôt que chez l’un de ses concurrents locaux, « pour la langue mais aussi le savoir-faire ». Tout comme ils se rendent au poissonnier français, au boulanger français, au bar français ou chez une esthéticienne française. « Il y a certainement un peu de chauvinisme, mais c’est vrai que c’est plus simple finalement ».
Photo : Bérenger Cyne
Et à mesure que le nombre d’expatriés à Barcelone grandit, celui des commerces et services dans leur langue se multiplie. Il est possible de trouver à peu près tous les magasins et toutes les professions libérales dans la langue de Molière, et parfois d’avoir même du choix. Une aubaine pour les nouveaux arrivants, dont la moitié ne parle pas espagnol selon Marine. Mais un danger aussi, puisque la nécessité d’apprendre disparaît.
Le besoin de vivre plus pleinement son expatriation
C’est ce qui est arrivé à Marie, installée à Barcelone depuis plus de 8 ans. Après Paris, Londres et New York, sa famille débarque à Esplugues de Llobregat, dans la banlieue chic de la capitale catalane, « pour que les enfants apprennent une troisième langue ». Mais la quadra se fait rapidement un entourage francophone et anglophone. « Quand je rencontre de nouvelles personnes et qu’elles parlent anglais ou français, je vais m’exprimer plus facilement dans l’une de ces deux langues ». Toutefois, Marie assure faire des efforts pour pratiquer son espagnol, et cette fois-ci, c’est sûr, elle reprend des cours dès le mois prochain.
L’artiste a eu le déclic après une exposition en fin d’année dernière, sa première à Barcelone. Elle ressent alors le besoin de faire partie intégrante de son pays d’accueil, mais aussi de faire encore plus de rencontres intéressantes et d’échanger avec davantage d’artistes locaux. Et puis, après tant d’années, « on a un peu honte de ne pas maîtriser la langue ». Même s’il faut bien reconnaître qu’apprendre à 40 ans est plus compliqué qu’à 20 ans.
Alors des excuses, Antoine en avait moins après 10 mois à Barcelone. Le Savoyard de 22 ans a fait son stage de fin d’études puis quelques petits boulots, tous en anglais.« C’était la solution de facilité », reconnaît le jeune homme, qui se faisait comprendre dans les commerces avec des applis de traduction ou des improvisations mimées. Comme beaucoup de stagiaires, il ne voit pas l’intérêt d’apprendre la langue pour partir quelques mois plus tard. Puis il reste après son stage, mais vient l’été et l’envie de profiter des beaux jours plutôt que d’aller prendre des cours. Il finit par se motiver à l’automne et progresse rapidement. « Si je devais recommencer, je m’y mettrais plus tôt, je me sens déjà plus à l’aise et plus chez moi ».
Pourtant, Antoine a le projet de quitter Barcelone l’été prochain. Mais il tient à emmener dans ses bagages la maîtrise d’une troisième langue. A moins que, comme tant d’autres, il décide finalement de rester.
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