Si l’on peut vivre et travailler à Barcelone sans parler catalan, connaître l’idiome local offre plus d’opportunités qu’il n’y parait. Témoignages.
Photos Antonio Rivera-Jean Dubosc
« Ma réussite professionnelle a clairement été liée à ma maîtrise du catalan ». Pour Antonio Rivera, Suisse francophone, aucun doute, apprendre la langue de Verdaguer a permis d’ouvrir un nombre de portes insoupçonnable, et notamment dans son travail. « Quand je m’adressais en espagnol aux administrations, j’avais un bon accueil, mais depuis que je le fais en catalan, l’accueil est complètement différent, ils ont plus à l’écoute, ils se sentent honorés qu’un expatrié ait appris la langue d’ici ». Et les propriétaires locaux, eux, lui confieront bien plus facilement un mandat.
A Barcelone, selon une étude publique, 6 étrangers sur 10 veulent apprendre ou améliorer leur catalan. C’est deux fois plus que les Espagnols venus d’autres régions. Un effort salué par les locaux. « Ils savent que c’est une langue minoritaire, et faire l’effort de l’apprendre en plus du castillan, c’est très valorisé », assure le fringant quinqua.
Un constat partagé par Jean Dubosc. Ce Normand arrivé à Barcelone il y a 35 ans a fondé une agence de traduction à Ripollet, à 15 kilomètres de la capitale. « C’est sûr que j’aurais perdu des clients si je ne parlais pas catalan, certains seraient allés voir ailleurs pour trouver un interlocuteur qui parle leur langue ». Pour cet ancien professeur d’espagnol puis de français, l’apprentissage s’est d’ailleurs imposé comme une évidence assez rapidement. « En arrivant, j’ai vu que c’était la langue d’ici, et j’ai rapidement cherché à la parler, d’abord pour ma vie personnelle ».
Se lancer et persister
La langue d’ici, oui, mais pas toujours facile à pratiquer à Barcelone. « Quand je parlais en catalan dans les commerces, au début, voyant que j’étais étranger, on me répondait en espagnol, pour être sûr que je comprenne bien, alors il a fallu insister pour continuer en catalan » se souvient Jean. Il a commencé à l’apprendre par la méthode Assimil, puis par des cours particuliers, et s’est efforcé de regarder la télévision locale. Avant de se lancer dans le bain et d’en voir rapidement, lui aussi, les bienfaits. « La langue est certainement l’aspect le plus important de leur culture », poursuit le Rouennais. Aujourd’hui, il parle catalan tous les jours dans son agence. Et si on lui demande son niveau, c’est son employé Gerard qui répond sans hésiter : « il a très peu d’accent, moins qu’en espagnol, on ne saurait pas dire qu’il est français! ».
Mais tout le monde n’est pas aussi doué pour les langues, et ce n’est pas très grave. « Le tout, c’est de se lancer », conseille Antonio, qui reconnait que son catalan n’est pas encore parfait. Ce résident de Sitges affirme que l’apprentissage a propulsé son intégration. « Je suis toujours le Suisse, celui qui arrive à l’heure et qui fait les choses bien carrées, mais en parlant catalan au bistrot, on va m’inviter à préparer le carnaval par exemple, on ne m’inviterait pas si je ne parlais que castillan ». L’agent immobilier assure aussi que la langue est un marqueur de classe sociale : plus elle est haute, plus on parle catalan. Et toutes les récentes études sur le sujet lui donnent raison.
Une coloration politique
Toutefois, pour de nombreux Français, souvent arrivés après 2012 et le début des massives revendications indépendantistes, le catalan a aujourd’hui une couleur politique qui rebute. « On m’a souvent demandé si j’étais indépendantiste car j’apprenais le catalan, raconte Sophie, la trentaine, c’est dommage que ce soit soit maintenant aussi associée à des partis politiques alors que moi je l’apprends pour la culture, pour parler avec les gens d’ici et des villages ».
Parce que certaines associations et réseaux sociaux ont parfois rendu l’idiome antipathique, à travers des polémiques ou des bashing d’hispanophones, beaucoup aujourd’hui refusent catégoriquement d’en entendre parler. « Je vis en Espagne qui est un pays à part entière, et le catalan prend une place extrême et malsaine, regrette Chantal, originaire du sud de la France, imposer le catalan que nous n’utiliserons qu’en Catalogne n’a aucun intérêt pour moi et ma famille, et certainement pas en me forçant la main ». Un avis repris par de nombreux Français, pour qui Barcelone est avant tout une capitale cosmopolite, ou une simple ville de passage.