Albert Batlle, vice-président du parti démocrate chrétien Units per Avançar, est maire adjoint de Barcelone en charge de la sécurité et de la Guardia Urbana. Ce spécialiste du maintien de l’ordre, qui a été auparavant chef des Mossos d’Esquadra, fait le point sur la situation de la sûreté à Barcelone et commente également le phénomène des violences urbaines en France.
Quelles sont les prévisions pour la saison estivale à Barcelone en matière de tranquillité publique ?
Barcelone récupère sa pleine normalité après les années de restrictions dues à la pandémie. Il n’y a qu’à se rendre dans n’importe quel endroit de la ville pour s’apercevoir que les espaces publics sont remplis de visiteurs. C’est une bonne année pour le secteur touristique qui s’annonce. Le revers de la médaille, comme dans tous les endroits touristiques, ce sont les personnes qui viennent pour exercer la délinquance ou occuper illégalement l’espace public. La vente clandestine nous préoccupe autant que les vols. C’est pour cela que nous avons mis en place un renfort policier. Comme l’a annoncé le maire Jaume Collboni, nous aurons 100 agents de police municipale en plus dans les rues de la ville chaque jour.
Comment expliquez-vous ce sentiment d’insécurité dont se plaignent les Barcelonais depuis la fin de la pandémie ?
C’est une perception. Barcelone a mis en place un outil que peu de villes possèdent : un baromètre municipal qui est une enquête permanente pour savoir ce que pensent les habitants. Nous faisons un exercice de transparence, nous n’avons rien à cacher. Donc, les gens peuvent dire qu’ils se sentent en insécurité, les médias le répètent et cette perception devient diffuse.
Vous étiez en charge de la sécurité de Barcelone durant le précédent mandat d’Ada Colau. Vous conservez votre poste avec le nouveau maire socialiste Jaume Collboni. Donc, nous ne pouvons pas parler de changement dans ce domaine.
J’ai toujours dit qu’un adjoint devait être loyal avec le maire sinon il doit présenter sa démission. Avec Ada Colau, j’avais une bonne collaboration, nous avions chacun nos lignes blanches, que personne n’a jamais dépassées. Cependant, avec le nouveau maire, nous allons avoir de nouvelles nuances. Par exemple, la vidéoprotection est un thème sensible qui dérangeait Ada Colau. Aujourd’hui, cette question est décomplexée avec le nouveau maire. Dans les points les plus critiques de la ville en matière de sécurité, nous allons placer des caméras, dans le respect absolu de l’intimité des personnes comme le demande la législation.
Il y a une forte poussée de l’extrême-droite dans tout le pays, au point qu’une coalition gouvernementale entre la droite et Vox pourrait voir le jour dimanche soir après les législatives. Un des totems de Vox est de lier l’immigration à la délinquance. Quel est votre sentiment face à cette situation ?
C’est un discours classique de la droite la plus extrême dans toute l’Europe, que ce soit avec Giorgia Meloni en Italie ou avec Marine Le Pen en France. Ce type de discours est à la fois un élément inquiétant et une solution trop facile. Ceci étant, il faut combattre fermement la délinquance, qui n’a pas une nationalité qui lui est propre.
Que répondez-vous à certains experts de la sécurité qui estiment que les mineurs isolés étrangers ont compliqué le travail de la police à Barcelone ?
Je n’ai jamais aimé cette théorie. La vraie question est de savoir comment nous pouvons intégrer ces jeunes et globalement nous y arrivons. Ce n’est pas le cas en France qui a dramatiquement échoué dans sa politique d’intégration. Nous avons un phénomène dans le Raval de Barcelone : la police a détecté un certain nombre de mineurs non accompagnés algériens qui possèdent un passeport français. Nous ne pouvons donc pas les expulser. Et j’insiste, la délinquance n’est pas due à une nationalité en particulier. Souvent, nous rencontrons des délinquants qui sont les enfants ou les neveux de familles catalanes de souche. C’est trop facile d’accuser une minorité.
La France a été secouée par de violentes émeutes suite à la mort de Nahel. Nous sommes à deux heures de la frontière, craignez-vous, tôt ou tard, un effet de contagion à Barcelone ?
Nous avons déjà eu des violences urbaines très graves en 2019 de la part des dirigeants indépendantistes catalans qui ont mis le pays à genoux. Dieu merci, aujourd’hui, c’est du passé. L’indépendantisme est dans une impasse. Ce sont aujourd’hui les éléments les plus pragmatiques qui sont au pouvoir au gouvernement de Catalogne. Même si un Monsieur continue une rhétorique très enflammée depuis Waterloo, plus personne ne le suit, pas même ses électeurs.
Pour revenir à votre question initiale, nous suivons avec préoccupation ce qu’il se passe en France, mais je ne crois pas à un phénomène de contagion. Car la crise française est multiple : retraites, gilets jaunes et l’échec des politiques migratoires. Beaucoup de jeunes en France disent qu’ils ne se sentent pas français car ils ont l’impression de ne pas être considérés comme tels. Ici, les choses sont différentes et ne se passent pas comme en France.
Pourquoi selon vous les choses se passent-elles mieux en Catalogne et en Espagne qu’en France ?
Je pense que le centralisme français est la source du problème car il a uniformisé les citoyens. Par exemple, il est incompréhensible qu’à Perpignan, il soit légalement interdit de promouvoir le catalan. C’est très violent. Et cette négation de la diversité et des différences se traduit également dans la question migratoire. Je me rappelle, quand j’étais jeune, j’étudiais le français à l’école, et dans un manuel. il était écrit que tous les Français sont les enfants de grands Gaulois possédant une chevelure blonde. C’est très violent et c’est une négation absolue de la diversité qui compose le peuple de France.
En Espagne, en revanche, nous reconnaissons toutes les identités que l’on soit Catalan, Basque ou Andalou. Même si l’on note de la catalanophobie ou un sentiment anti-espagnol, ou encore un rejet envers les Basques ou bien les Andalous. Malgré tout, ces différences culturelles sont reconnues en Espagne et peuvent s’exprimer.
Nous avons su tirer les leçons des erreurs de la dictature franquiste, qui pendant 40 ans a voulu gommer la diversité. Cependant, il faut rester vigilant car l’extrême-droite de Vox veut justement uniformiser tous les Espagnols en niant leurs identités, ce qui serait très dangereux.
Nous avions publié un reportage sur Equinox (lire ici) dans lequel des policiers français déclaraient envier leurs collègues espagnols au motif que le manque de respect envers les forces de l’ordre à Barcelone est quasiment inexistant. Partagez-vous ce sentiment ?
Absolument, je le partage. On peut des fois contester l’autorité, mais le respect de la police est extrêmement fort à Barcelone. Nous avons beaucoup travaillé pour changer l’image de la police. Et je le dis à chaque fois que je rends visite aux élèves d’une école de police : nous avons converti votre métier en une profession très prestigieuse.