Andreu Claret : « L’exil est un endroit où l’on délire »

Andreu Claret

Andreu Claret sort son nouveau livre « Paris erem nosaltres – Paris c’était nous« , où il raconte,sous la forme de roman, l’incroyable existence de son père exilé en France pour fuir le franquisme. Rencontre avec l’auteur. 

« C’était l’exil en France ou la mort en Catalogne ». Le père d’Andreu Claret n’a pas eu le choix. Il aura juste le temps de co-fonder Esquerra Republicana de Catalunya (ERC), parti politique aujourd’hui au pouvoir en Catalogne, qu’éclata la guerre mondiale. Impliqué dans la vie politique et la défense de la République, il devient une cible de choix pour le régime franquiste. La France devient alors un refuge. C’est cette histoire que va raconter son fils, Andreu. Tout en pudeur, sous la forme d’un roman « pour laisser échapper les émotions », glisse l’auteur. L’histoire passe bien sûr par les Pyrénées-Orientales. L’exilé échappe au camp de concentration d’Argeles mais se retrouve emprisonné par la Gestapo, dans ce qui est aujourd’hui la principale attraction touristique de Perpignan : le Castillet.

Le récit ne raconte pas que la guerre, l’occupation française et le franquisme espagnol, mais aussi les incroyables divisions que vivait alors la mouvance républicaine. La clandestinité n’a pas rapproché les militants qui s’entre-déchiraient dans des luttes intestines sans fin. Au milieu du bruit et de la fureur, Claret veut faire ressortir l’amour, celui de ses parents. Car si le livre est écrit à la première personne, le « Nous » du « Paris, c’était nous » appartient à ses parents qui ont vécu dans la capitale française leur plus belle histoire d’amour.

Votre père voulait lutter contre le franquisme, mais on a l’impression que ses compagnons étaient aussi désireux de se livrer bataille les uns aux autres ?

La gauche s’est entre-tuée dans les rues de Barcelone, la bataille a continué en exil. Mon père haïssait ce qu’il se passait dans les rangs républicains, car cela faisait le jeu de Franco. D’ailleurs, les critiques n’ont pas même été épargnées au président catalan de l’époque, lui aussi en exil, Luis Companys. Il a été un vecteur d’unité après avoir été fusillé par le régime franquiste, mais malheureusement pas avant. Franco l’a fusillé, les siens l’ont massacré.

Comme vous le narrez abondamment dans le livre, votre père était un ami proche de Luis Companys. Vous semblez avoir beaucoup de sympathie pour le personnage. 

J’ai beaucoup de sympathie pour la manière dont il a fini ses jours. Il s’est présenté devant le peloton d’exécution avec une grande dignité. Cela, même des soldats franquistes l’ont reconnu par la suite.  La dignité représente aussi cet homme, quand il n’a pas voulu quitter son bureau du Palau de la Generalitat alors que les troupes franquistes arrivaient.

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Il n’empêche que le personnage reste aujourd’hui encore très clivant 

Oui, car il a fait des choses qu’il n’avait pas forcément besoin de faire. Pour moi, le personnage n’est pas un mythe. Mais je le défends aussi parce qu’on l’a accusé de beaucoup de choses fausses. Même d’avoir détourné des sommes d’argents venues d’Espagne et destinées à la Catalogne. S’il avait fait cela, je pense qu’il aurait été assez riche pour aller vivre en Amérique latine.

Thème central du livre : l’exil. Incroyable condition d’une existence humaine…

L’exil s’inscrit dans un contexte claustrophobique. On délire. Lorsque le régime de Mussolini est tombé et que celui d’Hitler s’est effondré, mon père pensait que rentrer à Barcelone n’était plus qu’une question de semaines. Les camions étaient même apprêtés de fleurs pour la route. Pourtant, ma mère qui était en contact avec les diplomates occidentaux disait la vérité à mon père : le régime franquiste ne tombera pas, car il est soutenu par les démocraties voisines et les USA qui le voient comme un excellent rempart au communisme. Mais c’est comme cela, l’exil est un endroit où l’on rêve.

Dans l’exil, il y a aussi le maquis. Et comme vous le faites remarquer dans le livre, durant la guerre, les maquisards aident ceux qui fuient l’Espagne à entrer en France et ceux qui fuit la France à entrer en Espagne. C’est un des grands paradoxes du moment.

Oui, c’est paradoxal et ça dépend aussi de la situation de chacun. Par exemple, sur le territoire Français, les maquisards pouvaient aider un aviateur anglais à passer la frontière espagnole pour qu’il se dirige ensuite au Portugal et soit rapatrié dans son pays. Pareil pour les Juifs qui avaient tout intérêt à quitter la France occupée pour se rendre dans l’Espagne franquiste qui n’a pas mis en place la politique anti-juive d’Hitler. Au contraire, un républicain catalan comme mon père n’avait pas d’autre choix que de quitter son pays, car c’était la mort assurée. Durant la Retirada, qui n’a pas été assez expliquée dans les livres d’histoires de Catalogne, beaucoup de Catalans ont rejoint leurs familles en France.

Vous avez écrit ce livre en catalan, qui a d’ailleurs reçu le prestigieux prix Ramon Llull. Comment a été conçue la version espagnole ?

Il a fallu sortir très vite la version espagnole alors, on a pris un traducteur. J’ai bien sûr été consulté pour que le sens exact de mes pensées soit retranscrit.

C’est plus facile d’écrire en catalan pour vous ? 

Le catalan pour moi est la langue de mes émotions et de mes sentiments qui sortent plus facilement. J’écris aussi en espagnol, mais ce sont des articles d’analyses dans el Periodico. L’espagnol est la langue de l’analyse pour moi.

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Vous êtes né en France, pendant l’exil de votre père, pourquoi le livre n’a pas une version en français ?

Elle n’en a pas encore ! Mais je ne me sens pas au niveau de l’écrire, ça sera aussi une traduction.

Vous pourriez vivre en France ou bien le pays est trop amalgamé au sentiment d’exil de votre famille ?

Oui, je pourrais. J’aime la culture française, sa musique, sa littérature. La France est une machine à faire des Français, et moi-même, j’ai longtemps été Français. Mai 68 m’a interpellé, je suis un lecteur du journal Le Monde depuis 40 ans. Même la première fille que j’ai aimé était Française !

Comment s’est passé votre retour à Barcelone en 1964 ? 

Incroyablement différent de ce que j’ai vécu en France. Après les cours au lycée, nous sortions avec nos petites amies, mes copains et moi. Ici à Barcelone, les couples n’avaient pas le droit de s’embrasser dans la rue ! La situation était vraiment différente, j’étais vraiment surpris ! Et encore, je vous parle de Barcelone, imaginez les gens qui vivaient en Extremadura. Puis, en 5 ans, avec l’arrivée du tourisme, tout a changé. Les mœurs se sont libéralisées. Les touristes ont réellement changé la nature du pays. D’ailleurs, nous courions après les Suédoises ! (Rires).

Votre père a été l’un des fondateurs d’ERC, comment jugez-vous ce parti qui est aujourd’hui au pouvoir sous la présidence de Pere Aragonès ?

Il ne m’appartient pas d’analyser en profondeur la vie politique. Cependant, certains s’étonnent qu’ERC soit aujourd’hui au pouvoir avec une minorité très minoritaire de 33 députés sur 135. Je rappelle que depuis 1931, ERC a toujours été un parti hégémonique au sein de la Catalogne rurale. Je fais une tournée pour présenter mon livre dans des petites villes et villages et souvent le maire est issu d’Esquerra. Seul Jordi Pujol aura été une parenthèse. Parce que c’était un personnage extra-ordinaire. Après son départ forcé, son parti est entré en crise. La tradition historique se maintient donc avec l’arrivée de Pere Aragonès au Palau de la Generalitat.

Pourtant, ceux qui revendiquent l’histoire aujourd’hui, ce sont Carles Puigdemont et ses amis…

Ce n’est pas parce qu’ils le disent que c’est vrai. Carles Puigdemont n’est pas un personnage qui s’inscrit dans l’histoire catalane. C’était un journaliste de province qui a saisi l’opportunité politique de répondre aux idioties commises par le gouvernement de Mariano Rajoy. L’histoire de la Catalogne, c’est une négociation permanente avec l’Espagne composée de moments de tensions.

Andreu Claret est, entre-auteur, l’auteur des romans Venjança, El Cònsol de Barcelona, La caiguda de Barcelona, édités chez Columna. Le livre « Paris erem nosaltres » est disponible ici en catalan, et ici en espagnol.

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