Huit viols par jour en Espagne, deux en Catalogne. Les chiffres montent en flèche dans la péninsule ibérique, défiant la réputation féministe du pays et son accueil tant apprécié outre frontière. Entre pornographie, immigration et politiques, voici pourquoi la violence sexuelle reste si présente.
« Viol d’une enfant de 11 ans à Badalona ». « Cinq hommes incarcérés pour avoir agressé sexuellement, en groupe, une fille à Rubí ». « Agression sexuelle au parc fluvial du río Llobregat ». Lire ces titres est presque devenu une habitude en Espagne. Pas une semaine ne passe sans un nouveau fait-divers de cette teneur. Peu aussi, sans que les commissariats ne soient confrontés à des dénonciations de viols ou agressions sexuelles. « Les agressions sexuelles ont grimpé dans toute l’Espagne, mais particulièrement en Catalogne, avec une hausse de 35 % », annonce Toni Castejón, du syndicat des Mossos d’Esquadra. Car en l’espace de trois ans, leur nombre a augmenté de 53,2 % en Espagne. Un pourcentage qui lui confère l’amer score de huit viols par jour, et deux pour la Catalogne.
Mais comment, dans un pays autant avancé sur les droits des femmes, ce ratio peut-il être si élevé ? Les campagnes de sensibilisation fonctionnent-elles vraiment ? Pourquoi la région catalane est-elle tant touchée ? Et quelles sont les causes de cette croissance ?
La pornographie, à l’origine des viols impliquant les mineurs
Prendre le problème par un seul bout serait réducteur. « C’est un cumul de plusieurs causes, à la fois structurelles, éducatives, sociales, psychologiques, énumère José Luis García, sexologue et psychologue, auteur de Tes enfants regardent du porno. La société a beaucoup changé ». Si vite d’ailleurs, qu’au lexique des violences sexuelles en Espagne, aujourd’hui, il faut aussi ajouter le terme manadas (littéralement « meutes »). Des viols en réunion, souvent effectués par des jeunes et filmés, pour être rapidement retransmis en ligne. Si vite aussi, qu’en l’espace de quelques années, les agresseurs – à 97,9 % des hommes, selon l’Institut national des statistiques – rajeunissent au point, parfois, de parler de garçons de 12 ou 16 ans. « Les mineurs nous préoccupent le plus », avoue le policier catalan Toni Castejón, en se référant aux viols du centre commercial Màgic à Badalona, en mars dernier, de filles de 11, 12 et 13 ans, par des moins de 14 ans.
Et à ce constat, le psychologue clinicien possède une explication partagée par tous ses collègues : « la consommation abusive et précoce de pornographie violente, sans contrôle, par les très jeunes ». On la trouve aussi bien dans les chansons, les jeux vidéos, sur les réseaux sociaux, que dans les films. Et ce sont d’eux que s’inspirent les viols d’aujourd’hui. « Les vidéos les plus vues sont celles des viols en réunion (les manadas) », assure José Luis García. Il n’y a que là que les mineurs peuvent voir ces agissements, renchérit Núria González López, avocate et porte-parole de l’association CATAB, pour les droits des femmes en Catalogne. « Mais on ne parle pas des pornos des années 80 ! Les images diffusées sur internet évoquent des rapports de domination et de violence. Les enfants ont l’impression que ce sont des relations normales », insiste la féministe.
A tel point que depuis juillet 2016, date du premier cas de Manada à Pampelune (Navarre), la catégorie ne fait fureur. Parce que, d’une part, la pornographie détient un pouvoir addictif, mais aussi parce que « le cerveau des mineurs est en construction. Il est immature« , ajoute le psychologue et sexologue José Luis García. Par l’effet de groupe, ces tournantes trouvent son public. « Il y a la pression du groupe. Ils essaient d’imiter l’acteur porno qu’ils admirent et d’obtenir une reconnaissance et de la popularité. »
L’Espagne, en retard sur ses politiques féministes ?
Force est de constater que face à cette envolée des manadas et agressions sexuelles, la péninsule ibérique peine à suivre. « L’Espagne a l’air d’un pays féministe, mais il ne l’est pas tant que ça », s’exclame Núria González López, de l’association CATAB. Le fait de mettre en ligne les enregistrements des manadas, évoquées plus haut, est inattaquable par la loi et favorise donc sa répétition. La récente loi du consentement espagnole (Solo sí es sí) a provoqué l’allègement de certaines peines. Et pour le reste, « on parle beaucoup, mais en réalité, on ne fait rien », insiste l’avocate féministe. Pire encore, selon Núria González López, les institutions favorisent ce climat propice aux violences sexuelles.
« En Catalogne, il y a une absolue autorisation du lobby de prostitution. N’oublions pas que Barcelone est la destination sexuelle préférée du sud de l’Europe ». Selon la militante, la facilité d’accès aux prostituées, couplée à la consommation du porno et l’augmentation de la violence, font « qu’en Catalogne, le sexe violent monte en flèche ». La région enregistre 9,69 viols pour 100 000 habitants. C’est le plus fort, devant Navarre (7,83) et le Pays basque (7,34). Pourtant, les campagnes de sensibilisation contre les violences sexuelles ne manquent pas. Elles abondent en couverture des médias et dans les rues. Depuis, les dénonciations s’avèrent plus nombreuses, se réjouissaient les forces de l’ordre en début d’année. Mais ces campagnes sont-elles bien ciblées ? Utilisent-elles la bonne langue ?
Une immigration machiste sous-jacente
En 2021, de tous les condamnés en Espagne pour agressions sexuelles recensés par l’INE, 45,62 % étaient d’origine étrangère. 19,3 % provenaient d’Afrique, 13,7 % d’Amérique [latine] et 8 % du reste de l’Europe. Les violeurs restent, eux aussi, majoritairement Espagnols, mais l’Afrique et l’Amériquereprésentent aussi 15 % des délinquants. « Les profils sont divers, mais c’est vrai qu’on rencontre souvent des jeunes d’origine marocaine, arabe ou latine », souligne Toni Castejon, du syndicat des Mossos d’Esquadra. Le dernier en date, le 14 avril à Rubí, impliquait cinq Marocains.
Dans la presse espagnole, on ose alors parler d’immigration machiste. « Il y a un choc culturel important, que personne ne veut aborder parce que personne ne veut se mouiller. Mais ce n’est pas du racisme, c’est du civisme », explique Núria González López. Selon les pays d’origines, les profils, les cultures, le concept d’égalité homme-femme n’est pas similaire à celui de l’Espagne. « C’est une question d’éducation, mais on ne leur applique pas ici pour ne pas offenser. Les autorités devraient exiger un minimum de respect envers les garçons et filles ».
En somme, il reste donc du chemin. Psychologues, pédopsychiatre et sexologues s’accordent : les programmes d’éducation sexuelle peuvent changer la donne. À condition qu’ils soient réalisés plus tôt. À l’école primaire, au lieu du secondaire notamment. Et puis aussi, au sein du cercle familial. « Tout le monde doit participer pour enseigner ce que sont des relations normales ». Sans film porno, sans force, sans domination. À l’image d’une Espagne féministe.