La contestation sociale suscitée par l’adoption de la réforme des retraites montre, une fois de plus, le besoin de renforcer la participation des citoyens à la confection de la loi. Le référendum d’initiative partagée (RIP) est insuffisant pour cela.
Instauré en 2008 dans la Constitution française, il permet à un cinquième des parlementaires, soutenus par un dixième des citoyens inscrits sur les listes électorales, d’encourager l’organisation d’un référendum – si le Parlement ne se saisit pas de cette proposition de loi entre-temps. Le RIP n’a jamais abouti dans la pratique, à cause notamment de seuils trop élevés pour être atteints. Cette procédure a pour le moment été utilisée pour contrarier l’entrée en vigueur de lois contestées, comme cela a été le cas pour la privatisation des Aéroports de Paris en 2019 et actuellement pour la réforme des retraites.
Élargir l’initiative des lois aux citoyens
Les « gilets jaunes » et des élus de la France Insoumise souhaitaient la création d’un autre référendum : celui d’initiative citoyenne (RIC). Là où il existe, celui-ci est organisé si une proposition est signée par un nombre déterminé de citoyens : 500 000 en Italie ou 100 000 en Suisse. Avec le RIC, les citoyens peuvent forcer l’organisation du référendum. L’adoption de la loi leur revient également par leur participation au référendum. Contrairement à ce qui est prévu pour le RIP, la réussite du RIC n’implique pas la mobilisation des membres du Parlement. Il s’agit d’un pur outil de démocratie directe.
Ses détracteurs fustigent le contournement de la représentation nationale qu’il induit et le risque de manipulation de l’opinion. Pour l’heure il n’existe pas de majorité pour l’instaurer. Faut-il pour autant abandonner l’idée d’associer les citoyens à la prise de décision ?
Une voie intermédiaire existe entre le système représentatif actuel et un système de participation plus directe que certains redoutent. De manière classique, l’article 39 al. 1ᵉʳ de la Constitution confie l’initiative des lois au Premier ministre et aux membres du Parlement. D’autres systèmes constitutionnels, en Espagne notamment, ont élargi ce droit d’initiative aux citoyens de manière plus effective que le droit de pétition en France, dépoussiéré en 2020 sans conséquence sur la pratique du pouvoir parlementaire.
Un exemple inspirant en Espagne
L’article 87.3 de la Constitution espagnole prévoit par exemple qu’au moins 500 000 signatures citoyennes sont nécessaires pour qu’une proposition de loi citoyenne soit proposée à la discussion du Parlement. Le même dispositif d’initiative populaire des lois (IPL) se retrouve au niveau régional pour les lois qui relèvent de la compétence des communautés autonomes. Il est alors adapté aux caractéristiques régionales, tenant notamment au nombre de citoyens vivant sur ces territoires.
En France, le débat engagé par une IPL pourrait redistribuer les rôles au Parlement. Les parlementaires n’auraient plus intérêt à se ranger derrière leurs postures politiciennes habituelles, qui voient l’opposition s’opposer par principe au Gouvernement et la majorité voter d’une seule voix en sa faveur.
Le débat sur la réforme des retraites a montré les limites du débat parlementaire français. Avec l’IPL, il s’agirait de débattre d’un texte qui ne relève pas des forces parlementaires en présence. Les parlementaires comme le Gouvernement devraient donc se positionner, débattre et modifier le texte proposé par une partie des citoyens. Il s’agirait d’un premier pas en direction d’une plus grande participation des citoyens à la confection des lois, sans constituer une révolution complète du régime de la Ve République fondé sur le principe de la représentation.
Les garde-fous du système
Certes, des groupes politisés extérieurs au Parlement investiraient le champ du débat public pour proposer, soutenir ou combattre telle ou telle proposition de loi. Le risque d’une manipulation serait toutefois écarté. En Espagne, l’utilisation de l’IPL est soumise à conditions. D’un point de vue matériel, les lois organiques et la Constitution ne peuvent pas être modifiées à la suite d’une IPL. Entre autres, elles ne doivent pas non plus porter sur le domaine fiscal ou international, ni avoir trait au droit de grâce. D’un point de vue formel, des délais et procédures sont à respecter pour que la proposition issue d’une IPL soit débattue au Parlement espagnol. Le délai nécessaire pour récolter les signatures citoyennes est notamment fixé à 9 mois.
L’instauration de l’IPL en France pourrait s’inspirer de l’exemple espagnol, notamment pour que le Parlement ne soit pas submergé par de telles procédures. De même, sur le fond, les conditions posées pourraient permettre d’éviter que des IPL converties en lois viennent désorganiser les équilibres budgétaires existants. On pense à l’irrecevabilité financière de l’article 40 de la Constitution française. Selon celle-ci, une loi ne peut créer ou aggraver une charge publique, et ne peut autoriser la diminution d’une ressource publique que dans la mesure où elle est compensée par l’augmentation d’une autre ressource. Enfin, c’est le Parlement qui débattrait du texte et déciderait de l’adopter ou non. Il n’y aurait donc pas de conséquence sur l’état du droit en vigueur sans l’aval de la représentation nationale, comme cela serait le cas avec le RIC.
La pratique espagnole n’est toutefois pas à la hauteur des ambitions assignées au mécanisme par les rédacteurs des textes applicables. Sur plus d’une centaine de tentatives, seulement deux IPL ont abouti au vote effectif d’une loi au niveau étatique. Au niveau autonomique, le constat est aussi sévère.
Apprendre des erreurs du système espagnol
La difficulté de l’IPL espagnole tient au rôle excessif joué par le Bureau du Congrès des députés, l’équivalent du Bureau de l’Assemblée nationale en France. Il s’agit d’une formation restreinte de la chambre basse du Parlement qui exerce une compétence générale sur son organisation et son fonctionnement. En Espagne, ce Bureau peut écarter une IPL pour un motif politique, en jouant sur l’interprétation des conditions de recevabilité. La loi organique 3/1984 comprend d’autres conditions de recevabilité des IPL, celle notamment empêchant de proposer une loi portant sur des matières manifestement distinctes et manquant d’homogénéité entre elles. Ce critère est d’appréciation éminemment politique.
Le Tribunal constitutionnel espagnol intervient lui pour contrôler le volet juridique des IPL. Il a par exemple annulé une loi régionale votée par le Parlement catalan en 2016 suite à une IPL signée par 180 000 Catalans. Elle visait à interdire la corrida en Catalogne. Le juge constitutionnel s’est appuyé sur une loi nationale, elle-même issue d’une IPL nationale. Celle-ci avait inclus la tauromachie dans le patrimoine culturel immatériel de l’Espagne, excluant l’interdiction de la corrida à un niveau régional.
L’appréciation des conditions de recevabilité ne doit pas être politique
Pour tirer parti de l’expérience espagnole, la France pourrait décider de ne pas attribuer de missions liées à l’IPL au bureau de l’Assemblée nationale. En effet, rien ne s’oppose à ce que l’appréciation de l’ensemble des conditions de recevabilité des IPL se fasse selon un cadre exclusivement juridique (et non pour des motifs politiques). Pour exécuter cette tâche, la juridiction constitutionnelle paraît la mieux placée.
Le Conseil constitutionnel français joue déjà un tel rôle avec le RIP. Il s’assure que la proposition de référendum a été proposée par le nombre nécessaire de parlementaires et citoyens. Il vérifie aussi que la proposition respecte les conditions dans lesquelles le référendum est organisé selon l’article 11 de la Constitution. Ce double contrôle s’effectue avant l’organisation du référendum, c’est-à-dire avant que le peuple souverain ne se prononce. Parfois critiqué, le Conseil peut ainsi s’opposer à sa tenue si la proposition de loi ne respecte pas les conditions prévues.
En France, les partisans du référendum d’initiative citoyenne (RIC) pourraient avoir intérêt à défendre l’initiative populaire des lois (IPL). Si cette dernière faisait ses preuves, par la suite, il leur serait plus facile de défendre l’adoption du RIC. Cela leur permettrait de s’appuyer sur la démonstration que les citoyens sont bien capables, eux aussi, de proposer des lois œuvrant pour l’intérêt général. Et donc de les adopter eux-mêmes par référendum ?
Nicolas Pauthe, Docteur en droit public, enseignant-chercheur post-doctorant, Université de Pau et des pays de l’Adour (UPPA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.