Avec 1226 bassins et lacs artificiels, l’Espagne est la championne d’Europe des retenues d’eau. Alors que le débat des méga-bassines agite l’Hexagone, le système montre déjà ses limites en Catalogne.
L’image circule depuis des mois dans la presse et sur les réseaux sociaux, attirant chaque week-end sur place des centaines de badauds. Le joli lac artificiel de Sau, célèbre pour avoir englouti lors de sa construction en 1962 un village dont on ne distinguait que le haut du clocher, ressemble maintenant une informe étendue de boue et de terre craquelée. Pour la première fois depuis plus d’un demi-siècle, l’église est totalement à découvert.
Comme de nombreuses régions d’Espagne, la Catalogne est actuellement en état de « sécheresse prolongée » après plus de 30 mois de pluies insuffisantes. Avec le Guadalquivir au sud, c’est la zone la plus touchée du pays par la baisse des réserves d’eau. Le lac de Sau, qui fait partie d’un réseau de trois pantanos alimentant en eau potable les agglomérations de Barcelone et Gérone, n’en finit plus de s’amenuiser et ne contient actuellement que 7% de sa capacité. Soit trois mois d’approvisionnement en eau selon les autorités catalanes qui veulent profiter de la moindre goutte. Fin mars, elles ont décidé de vider le réservoir de tous ses poissons. Si les eaux baissent encore, une mortalité massive de la faune marine empoisonnerait gravement l’eau. « Notre priorité absolue est de garantir la qualité de l’approvisionnement pour l’usage humain », a indiqué le gouvernement catalan.
Construites en masse depuis les années 50 jusqu’aux années 90, les retenues d’eau espagnoles n’arrivent plus à combler les besoins des populations en situation de sécheresse. « Le problème c’est que ce ne sont pas vraiment des réservoirs, mais plutôt des moyens d’amasser toujours plus d’eau et de la distribuer sans limites selon la demande, alors que l’on devrait distribuer selon les ressources disponibles », explique à Equinox Jaume Grau, porte-parole des Ecologistas en Acción. L’activiste estime que la situation météorologique met en évidence un système depuis longtemps caduc. « Ces retenues d’eau servent à arroser les terrains de golf ou l’agriculture intensive sans restrictions, et dans un contexte de changement climatique, il faut arrêter cette course à l’eau et réduire drastiquement la consommation ».
Une solution de secours à court-terme
En attendant un profond changement de modèle, l’Espagne tente de répondre à l’urgence. Elle mise tout sur les usines de dessalement, déjà au nombre de 700 à travers le pays. Le gouvernement catalan a ainsi investi 2,3 milliards d’euros dans la station de dessalement du Prat, qui tourne à plein régime depuis l’année dernière et fournit actuellement un tiers de l’eau utilisée à Barcelone. Mais la production ne parvient pas à remplacer les bassins, en plus d’être coûteuse et polluante. Un pansement sur une jambe de bois.
Parallèlement, la Catalogne a mis en place de timides restrictions d’eau, mais pourrait durcir les mesures si la situation ne s’améliore pas. Face à des prévisions pessimistes, Barcelone envisage déjà de réduire en août la pression dans les logements, voire de couper l’accès à l’eau à certaines heures de la journée. Une situation qui fait déjà frémir les habitants, à qui l’on prédit un nouvel été caniculaire.