Ils font du bruit, parlent tout sauf castillan ou catalan, et surtout « ne sont pas d’ici ». Les « guiris » sont les touristes de Barcelone. Du moins, c’est ainsi que les Catalans aiment les qualifier. Mais dans les faits, ce terme vise aussi ceux qui habitent la capitale catalane depuis plusieurs années. Créant ainsi frustrations, colère ou lassitude.
Photo : Clémentine Laurent Photographie
Àngela Reyes ne pèse pas ses mots lorsqu’elle parle des « guiris ». À 19 ans, cette Barcelonaise du quartier Horta-Guinardó, les a dans le viseur. La Catalane habite à 15 minutes à pied des bunkers. Cet endroit qui surplombe la cité comtale, où les fêtes battent leur plein au coucher du soleil. Une nouvelle ambiance, à mille lieues de celle de son enfance. Calme, entre riverains. « C’est devenu surpeuplé. Les touristes pique-niquent et mettent de la musique au sommet de la montagne, ce que personne ne faisait auparavant. » Et lorsqu’il s’agit de définir les profils, Àngela ne passe pas par quatre chemins. « Il est évident que ce sont des guiris, non seulement à cause de leur apparence, mais aussi à cause de leur comportement. »
Pourtant, historiquement, ce surnom s’adressait aux soldats du gouvernement, et plus tard, sous Franco, à la police. Mais aujourd’hui, il s’avère bien moins « local ». Au contraire. « Ce sont toutes les personnes qui ne comprennent pas et ne respectent pas la culture d’ici. Les guiris ne vivent pas ici depuis longtemps, c’est évident », renchérit Àngela. Alors évidemment, lorsque « guiri » vient à toucher ceux qui habitent Barcelone depuis plusieurs années, il a de quoi faire grincer des dents.
« Je serai toujours une guiri car je ne suis pas née ici »
« J’ai vraiment tout fait pour m’adapter. Je parle couramment espagnol, je travaille dans une clinique, je vis avec des Espagnols, je paye mes impôts », énumère Manon, Française de 29 ans. Et pourtant, l’assistante médicale continue à être « une guiri aux yeux de certains ». Une discrimination, selon cette jeune femme qui vit dans la cité comtale depuis quatre ans. « Un jour, une Catalane m’a dit que malgré tout cela, je serai toujours une guiri car je ne suis pas née ici. C’est tout. » Elle n’a pas insisté.
Alors que d’autres répondraient volontiers « quel manque d’arguments ! ». Car oui, parfois, ça agace. Et puis occasionnellement, on se dit que ce n’est pas très grave. « Les personnes appelées guiris peuvent avoir ce problème de xénophobie, reconnaît l’association SOS Racisme de Catalogne. Mais elles ne sont pas touchées par le racisme qui empêche des personnes d’accéder à des logements dignes, ou se voient persécutées, par exemple. » Il faut bien le reconnaître. Néanmoins, rester sur ses gardes n’est pas de refus, estime Pauline, responsable achats pour un distributeur français de produits ibériques.
En huit années d’expérience à Barcelone, auprès de fournisseurs espagnols, Pauline commence à connaître les rouages. Et les utilise à son avantage, en annonçant directement la couleur. « Quand je négocie avec des artisans par exemple, je commence toujours pas leur dire que je ne suis pas un guiri donc pas la peine d’essayer de m’arnaquer », rigole la Bretonne. Et ça marche. D’une part parce qu’elle connaît ce mot et sa signification. Et parce qu’elle sait qu’elle est tout sauf une des leurs.
Du touriste étranger au Français de Barcelone bien implanté
« En général, c’est l’étranger qui a de l’argent. C’est cela qui le distingue vraiment ». Des natifs de Barcelone, d’une part, mais aussi des Français ou autres nationalités, qui vivent selon les mêmes conditions qu’eux. Jusque dans les relations les plus étroites. Avec le temps, ce nom a semble-t-il perdu en indulgence. Même dans les liens les plus étroits avec les locaux.
« Je suis arrivée à Barcelone en 1994. Mon mari est Catalan, né dans le quartier de Sagrada Familia. Et on me voit encore souvent comme une guiri », raconte Corinne. Cette qualification, cette maman de 58 ans l’a apprise au sein même de sa belle famille. Au moment de parler tourisme à Barcelone. Elle l’entend aussi régulièrement dans certaines boutiques. Parce qu’on lui parle anglais, ou peut-être que comme d’autres, il lui reste un petit accent. « Mais ça ne me gêne pas ni même me choque », assure la Jurassienne. Après tout, ce n’est qu’un mot.